Un rapport menaçant ou visionnaire, voici les deux manières d’interpréter le rapport d’Eurasia Group, paru en ce début d’année 2025. Cette entreprise publie chaque année un rapport nommé “Top risks”, où elle met en lumière les dix menaces géopolitiques mondiales majeures pour l’année qui s’annonce. Depuis 2011, le texte est publié dès les premiers jours de janvier et s’adresse à un public très large, désireux d’en savoir plus sur le climat international. Le rapport étant très dense, deux articles porteront sur ce sujet, afin d’expliciter chacun des aspects présenté, dans le but de populariser ce rapport qui est souvent source de vérité.
Cette première partie portera sur les menaces en rapport avec la puissance américaine, et notamment sur les conséquences de l’élection du 5 novembre dernier. Le second article présentera les autres risques, liés à des nouvelles préoccupations, telles que l’Intelligence Artificielle.
Retour sur 2024
Avant de commencer à étudier le rapport de 2025, et afin de démontrer la légitimité de ce rapport, s’intéresser aux prédictions de 2024 semble pertinent. Parmi les dix menaces évoquées, il semblerait que deux d’entre elles se soient réalisées.
Risque 1 de 2024 : “The United States VS themselves”
Le risque 1 : « Les Etats-Unis contre eux-même » semble à première vue une prévision assez simpliste. En effet le monde entier anticipait les élections américaines et savait qu’elles allaient radicalement impacter la stabilité mondiale. Le rapport n’émettait pas d’hypothèse quant au gagnant, mais mettait en avant les potentielles conséquences en fonction du candidat élu, en s’axant plus sur Donald Trump. Certaines des suppositions ont été vérifiées dès le lendemain du 5 novembre. Cet extrait l’illustre parfaitement :
“Trump essaierait de s’emparer des institutions fédérales en purgeant des milliers de fonctionnaires qu’il considère comme des obstacles et en les remplaçant par des loyalistes inexpérimentés.”
En effet, une des premières nominations de l’administration de Donald Trump est celle d’Elon Musk. Au sein du département de l’Efficacité Gouvernementale, ce dernier est chargé de “démanteler la bureaucratie américaine” et “diminuer les dépenses inutiles” afin de “créer une approche entrepreneuriale au sein de l’administration.” annonce Donald Trump dans un communiqué. Ainsi la première partie de la citation est confirmée. Pour ce qui est de la seconde partie, les nominations de Linda Mcmahon et Robert Kennedy Jr ne font que la confirmer. En effet, McMahon, ancienne directrice de la fédération de Catch américaine est aujourd’hui à la tête de département de l’Education. De même pour Kennedy Jr, un vaccino-sceptique proche des milieux complotistes, qui dirige le Secrétariat à la Santé.
Le risque 2 : “Middle East on the brink”
Le risque 2 « Le Moyen Orient au bord du gouffre » est en effet une réalité. Bien que l’attention du monde entier était tournée vers cette région depuis les attaques du 7 octobre 2023, c’est véritablement courant 2024 que les attaques se sont intensifiées, et se sont surtout répandues. Les affrontements entre Tsahal et le Hezbollah, la destruction de la Bande de Gaza, les tensions ponctuées d’explosions entre Israël et l’Iran et enfin la chute du régime de Bachar al-Assad en Syrie ne viennent que confirmer cette prédiction du rapport. Plus particulièrement au regard d’Israël et du Liban, le rapport insistait sur une intensification des attaques entre ces deux belligérants. Il pointait également le rôle majeur de l’Iran dans l’escalade des tensions.
Les menaces concernant la gouvernance
Risque 1 : “The G-zero wins”
Le rapport livre une analyse assez circulaire de notre période, en la comparant à la situation instable des années 30 ou des débuts de la Guerre Froide (1945-1960). L’élément commun de ces périodes est l’absence de leadership dans les décisions mondiales, ce qui mène à un ralentissement des coopérations à l’échelle internationale. L’élection de Donald Trump à la tête des Etats-Unis n’y est pas pour rien, mais l’isolationnisme américain n’est pas le seul obstacle. En effet Donald Trump, bien qu’il affirme vouloir appliquer son slogan “America First”, ne veut pas laisser la place de meneur des Etats-Unis à d’autres puissances comme la Chine. Plus globalement, les difficultés économiques et les restrictions politiques de la Chine ne lui permettraient pas de s’illustrer comme un modèle d’impulsion.
La fragilité des démocraties européennes, ou le faible développement du “Sud Global” démontrent qu’aucune autre puissance ne semble prête à prendre la tête du leadership mondial. L’instabilité et le statu quo semblent être, selon le rapport, les deux mots d’ordre pour 2025. Cette absence de tête de file pourra mettre de nombreuses décisions internationales en péril, notamment dans la réalisation de nouveaux engagements pour le climat. Ces derniers nécessitent de l’unité et une initiative forte, sans quoi aucun effet concret ne pourra être visible.
Risque 2 : “The rule of Don” : le règne de Trump
Le choix des mots est particulièrement important, et le mot “règne” prend tout son sens dans le rapport. Le risque n°2 serait le suivant : le mandat de Donald Trump pourrait fragiliser fortement les Etats-Unis et ses valeurs démocratiques. Tout d’abord, par la nomination de son administration, le Président inquiète. En comparaison à 2016, il a beaucoup plus attribué des places de pouvoirs à des membres de son cercle proche. Le risque d’associer succès politique et proximité du pouvoir serait de transformer la démocratie américaine en un système à tendance oligarchique, ce qui nuirait grandement à la stabilité économique mondiale. La stabilité du pays serait également en danger, puisque le modèle oligarchique implique de la corruption et ainsi la méfiance grandissante du peuple envers les institutions, et la démocratie elle-même. Est-il préférable pour la stabilité mondiale que la première puissance démocratique s’effondre ? Sûrement pas.
“Nous n’avons aucun doute que la république survivra encore quatre années sous Trump. En revanche, la question de savoir si la nation qui émergera de son mandat continuera d’être gouvernée par des lois ou, comme l’a dit John Adams, se transformera en un gouvernement d’hommes, est une question différente—mais non moins importante.”
Les menaces économiques
Risque 4 : “Trumponomics”
Le parallèle est bien trop évident pour ne pas voir le lien avec les “Reaganomics” des années 1980. Ce terme avait été utilisé à l’époque pour qualifier l’axe très libéral de Reagan. Ce dernier prônait la dérégulation, la suppression des taxes et la baisse des dépenses publiques. C’est au tour de Donald Trump de voir son nom associé à une doctrine économique. Le rapport présente 4 piliers des “Trumponomics” qui risquent de déstabiliser l’économie américaine. Tout d’abord, la hausse des tarifs douaniers pour rééquilibrer la balance commerciale du pays. Les hausses qui ont immédiatement suivies la nomination du 47ème Président des Etats-Unis démontrent à quel point cette mesure était attendue. Même les pays frontaliers, avec qui le pays échange le plus, se voient infliger des taux à 25%. La conséquence la plus concrète a été la riposte, qui, à une plus grande échelle entraînerait un ralentissement du commerce mondial.
La politique migratoire de Donald Trump, qui consiste à déporter les migrants dans leur pays d’origine, va tendre le marché du travail américain. La réduction de l’immigration illégale réduira drastiquement la quantité de main d’oeuvre américaine disponible. La diminution de la réserve de main d’œuvre va ralentir l’économie, et peut potentiellement mener à plus d’inflation. Troisièmement, et comme son prédécesseur, Donald Trump veut déréguler, pour laisser plus d’opportunités aux entreprises de s’étendre (notamment celles de la Tech et des Énergies fossiles). Pour finir, la baisse des taxes ne semble pas, au premier abord, constituer une menace. Mais cette baisse est liée à une autre : la baisse des recettes de l’Etat. Et la baisse des dépenses publiques implique beaucoup moins de soutien pour les strates les plus précaires de la population.
Ces 4 principes des “Trumponomics” pourraient, sur le long terme, apporter de l’instabilité dans les marchés et faire vaciller la première puissance mondiale.
Risque 3 : “US- China breakdown” – Les Etats Unis et la Chine : la rupture
Bien que les tensions entre ces deux puissances aient graduellement augmenté depuis 2015, les relations sino-américaines sont restées cordiales. Mais l’arrivée de Donald Trump et ses idées de taux de taxes records semblent fragiliser l’instable équilibre. En effet, l’augmentation de 10% de taxe sur les produits chinois importés aux Etats-Unis relance la guerre commerciale entre les deux pays. A peine quelques jours après ces déclarations, Beijing annonce avoir fait de même et a déposé une plainte à l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) pour vérifier la légalité de cette augmentation massive. L’issue de ce recours en justice reste à suivre mais illustre la cristallisation des tensions autour des aspects économiques.
L’île de Taiwan est aussi un sujet sensible qui pourrait être l’élément déclencheur d’une escalade entre les deux pays, selon le rapport. Cependant, Taiwan ne semble pas être une priorité pour l’administration Trump. Le statut de l’île pourrait ainsi rester flou, tel qu’il l’est depuis 76 ans. Dans l’ensemble, une Chine en pleine crise immobilière et des Etats-Unis en pleine crise sociale ne trouveraient que très peu d’avantages à se livrer une guerre économique.
« Bien que ni l’une ni l’autre des parties ne veuille de confrontation, en éviter une dans l’année à venir nécessitera une diplomatie de haute voltige. »
Ce dernier risque revêt des aspects non seulement économiques mais aussi géopolitiques. Il est à lier au risque numéro 7, le dernier qui sera développé dans cet article. Il aborde des questions d’économie, mais anticipe aussi des répercussions mondiales.
Risque 7 : “Mendier son monde”
Chacun des risques précédents affecte notre système économique mondialisé. C’est pourquoi le rapport met en garde sur une fragmentation des marchés et une précarité financière pour la plupart des pays. La crise économique chinoise est liée en partie à une surproduction dans des secteurs clefs, comme les énergies renouvelables (panneaux solaires, batteries électriques…). Le pays écoule cette surproduction par l’exportation et inonde les marchés extérieurs avec ses produits à bas coût. Comme la Chine s’enfonce dans la crise et ne semble pas prendre des mesures à l’encontre de ce phénomène, les exportations vont persister, et la concurrence sera rude. Des entreprises, européennes par exemple, voulant s’implanter dans le marché devront faire face à des difficultés budgétaires pour essayer d’être concurrentielles face aux produits chinois.
Une autre menace économique est en lien avec le risque 3. En effet, la hausse des tarifs douaniers et les mesures protectionnistes vont affluer sur les marchés, sous l’initiative américaine. Rendant les importations plus coûteuses, ces augmentations vont également fracturer les chaines de productions internationalisées. Le protectionnisme ferait son grand retour, au détriment des puissances dépendantes, comme celles d’Afrique Subsaharienne. Enfin, dans un monde où le dollar est roi, la hausse de son taux de change pourrait impacter durablement les économies endettées.
“L’économie mondiale est sur le point d’apprendre une douloureuse leçon : lorsque les deux plus grandes économies du monde se replient sur elles-mêmes, tout le monde en paie le prix.”
Les 5 enjeux présentés semblent donc nous mettre en garde sur des effets néfastes des agissements des deux premières puissances mondiales. Dans le prochain article dédié à ce rapport, d’autres acteurs et leurs problématiques seront mis en avant.
Pour accéder au rapport, suivez ce lien : https://www.eurasiagroup.net/issues/top-risks-2025