Les villes françaises entre « bétonisation » et « zéro artificialisation »

Aujourd’hui, l’artificialisation des villes et métropoles françaises pose question à l’heure où le retour vers une urbanisation plus sobre s’impose. Comment concilier besoin de logement et transition écologique ?

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Chantier de construction. © PiotrZakrzewski / Pixabay
Chantier de construction. © PiotrZakrzewski / Pixabay


20 000 à 30 000. C’est le nombre d’hectares d’espaces naturels, agricoles et forestiers perdus chaque année en France « sous la pression des activités humaines », rappelle le site vie publique dans un article. L’artificialisation des sols est en partie responsable de ce déclin notamment à cause de la construction de logements.


L’impact écologique de l’artificialisation des sols

Cette notion d’artificialisation est au centre de l’attention depuis quelques années déjà. La loi « Climat et résilience » du 22 août 2021 fixe un objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols d’ici 2050. À court terme, celle-ci doit être « divisée par deux d’ici 2030 ».

Mais, qu’entend-on par artificialisation des sols ? Cette loi de 2021 la définit comme « l’altération durable de tout ou une partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage ».

Dans un article, le site vie publique donne les conséquences de cette bétonisation des sols. Elles sont d’abord environnementales. On observe par exemple la disparition des écosystèmes. Ainsi, « la transformation d’un espace naturel en terrain imperméabilisé, modifie ou fait disparaître l’habitat d’espèces végétales et animales ». À terme, cela « peut conduire à leur disparition d’un territoire ».

« L’étalement urbain et le grignotage progressif des sols par des constructions, des infrastructures routières ou des parkings » peuvent aussi détruire des « continuités écologiques permettant à la faune sauvage de circuler », détaille un rapport de France Stratégie.

L’artificialisation affecte aussi indirectement la société. On se souvient des inondations dans la région de Valence en Espagne. L’une des raisons de l’ampleur de la catastrophe est justement l’artificialisation. Un article du journal La Croix quantifie cette artificialisation à outrance. « Entre 1987 et 2005, les 500 premiers mètres du littoral espagnol ont été artificialisés, au rythme de deux hectares par jour, soit l’équivalent de deux terrains de football ». Freiner l’artificialisation paraît donc vital pour éviter que de tels événements surviennent à nouveau.

Autre problème des grandes villes en été : les îlots de chaleur. Cela peut être dû à la « hauteur et la densité du bâti », aux « matériaux de construction » utilisés comme le béton et le « peu de végétalisation », énumère un article du Monde. « En été, cela entraîne des problématiques sanitaires, le corps ne se rafraîchit pas et donc ne récupère pas », explique Sandra Garrigou, chargée de projet plan climat et adaptation à l’Institut Paris Région dans ce même article.


À Bordeaux, le difficile équilibre de l’urbanisation

En Gironde (33), la métropole bordelaise n’échappe pas à cette urbanisation galopante. En 2009, la ville met en place le projet Bordeaux-Euratlantique. Le compte-rendu du conseil municipal de Bordeaux daté du 27 avril 2009 explique que « la métropole bordelaise est au 39ème rang dans le classement des métropoles européennes. Le projet Bordeaux – Euratlantique sera un des atouts essentiels lui permettant de progresser sensiblement dans ce classement ».

L’objectif est clair, faire de Bordeaux l’une des villes les plus importantes d’Europe. Cela passe par la création de la ligne LGV permettant de relier Paris et Bordeaux en deux heures. D’autres projets sont prévus pour la capitale du vin. « Il s’agit de créer une nouvelle ville dans la ville, sur une surface de 738 hectares », décrit un article du journal Le Moniteur. Extension de la gare Bordeaux Saint-Jean, création d’un quartier d’affaire et de nombreux logements collectifs. Voilà les principaux axes de Bordeaux-Euratlantique.

Le tout repose sur plusieurs villes de la métropole, à savoir : Bordeaux, Bègles et Floirac. Parmi les zones concernées se trouve le quartier de la rue Amédée, situé à proximité de la gare. Mais plus de dix ans après le lancement du projet, cette promesse de modernisation et d’extension n’est pas aussi parfaite si l’on en croit certains riverains.

Le collectif de citoyens Amédée Sacré-Coeur Euratlantique se mobilise depuis 2020 pour obtenir plus de verdure au milieu de cette forêt de béton. André Pouget est l’un d’entre eux. « On souhaite que le quartier soit vivable », explique-t-il lors d’une interview pour CS Actu. Première victoire, les habitants ont obtenu une zone de verdure d’environ un hectare de la part d’Euratlantique. Mais le collectif demande la création d’un véritable parc de deux hectares pour permettre aux habitants d’avoir de la fraîcheur à proximité. « Actuellement, il y a trois ou quatre mètres carrés de vert par personne et dans notre proposition on passe à 11 », détaille André Pouget.

Il aimerait aussi voir la mairie de Bordeaux s’investir davantage dans la transition écologique. « Je me souviens au début avec Pierre Hurmic (actuel maire de Bordeaux). Il nous disait: « oui, c’est difficile de faire tourner le paquebot. Le paquebot est très lourd, très lent, ça va prendre un certain temps ». Eh bien justement, c’est parce que ça prend un certain temps qu’il faut s’y prendre assez tôt ». Mais pour l’instant, « il n’y a pas d’actes qui montrent qu’on a commencé à faire tourner le paquebot », regrette André Pouget. Cette métaphore du paquebot illustre bien la difficulté de la métropole de Bordeaux à se tourner vers un modèle plus vert.


Le besoin de logement au centre du débat

Malgré cela, André Pouget est conscient que le besoin de logement se fait sentir. « J’ai participé moi-même à des soirées et à des nuits de la solidarité pour aller recenser les personnes qui dorment dehors ou dans les voitures. Donc c’est évident qu’il faut pouvoir les loger », déclare le retraité.

À Bordeaux, la densité est régie par la règle suivante : « 150 m² par logement en moyenne, soit environ 67 logements par hectare », peut-on lire dans un rapport du Plan local d’urbanisme (PLU). Dans le secteur Amédée Saint-Germain c’est différent. Le rapport explique qu’une « densité supérieure à cette moyenne, comprise entre 100 et 120 logements par hectare, semble plus crédible », au regard « du contexte du site ». Cela explique aussi pourquoi les habitants du secteur demandent plus de verdure face à cet océan de béton.

Ce même rapport du PLU explique qu’un « développement de l’habitat au sein de l’îlot Amédée Saint-Germain, au cœur de l’enveloppe urbaine de la métropole, permet vraisemblablement d’éviter la consommation d’espaces en périphérie de l’agglomération ». Une question se pose alors, faut-il construire davantage en ville sous prétexte d’éviter l’étalement urbain aux alentours ?

La réponse n’est pas si simple et André Pouget en est conscient. Mais « créer des logements n’est pas synonyme de construire voire bétonner », rappelle-t-il. Et créer des logements est déjà possible en utilisant les constructions existantes.


Concilier logement et environnement

Comment faire pour ne pas opposer demande de logement et réduction de l’artificialisation ? Des solutions existent au niveau de la réglementation. Le PLU peut faire l’objet de restrictions. Le rapport de France Stratégie évoque justement des possibilités d’évolution des PLU.

On y trouve par exemple « l’imposition d’un coefficient d’occupation des sols (COS) minimal aux nouvelles constructions ». Le COS est une notion d’urbanisme qui mesure la « densité de l’occupation du sol ». « Il correspond à la surface de plancher constructible par mètre carré », explique Le Figaro. Cette mesure vise en fait à améliorer l’utilisation des terrains en obligeant les promoteurs à les densifier. Concentrer la densité peut donc permettre de limiter l’étalement urbain.

Ce même rapport évoque aussi « l’obligation d’avoir atteint un niveau minimal de renouvellement urbain avant de délivrer des permis de construire sur des zones non artificialisées ». En clair, l’idée est d’encourager la réutilisation des sols déjà artificialisés et donc limiter l’extension des villes.

Philippe Bihouix, spécialiste de l’urbanisation, évoque une autre solution. « On a un gigantesque patrimoine bâti existant, il y a beaucoup de logements vacants, sous-occupés », explique-t-il dans une interview réalisée par l’Agence d’urbanisme de la région grenobloise. « On a la possibilité d’intensifier l’usage » de ces espaces inutilisés, continue l’auteur de La ville stationnaire.

Dans le cas de la métropole de Bordeaux, André Pouget rappelle l’existence de ces logements vacants, une question évoquée lors de conseils de quartiers. Pour lui, il faudrait modifier la réglementation afin de pouvoir « utiliser les milliers de logements vacants qui sont dans la métropole ». L’avantage ? « Ceux-là ne vont pas bétonner ni densifier », précise-t-il.


La France et l’artificialisation

D’après l’INSEE, « en moyenne sur 2019-2020-2021, les sols artificialisés couvrent 9,1% du territoire métropolitain », contre 39,1 % de sols naturels et 51,8 % de sols agricoles. Ce constat d’expansion des villes peut être nuancé au regard de l’espace total consommé. Un graphique de l’INSEE montre d’ailleurs qu’entre 2009 et 2021, la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers a baissé.

Mais il ne faut pas perdre de vue l’impact de l’artificialisation pour autant. Ainsi, « en 2021, les espaces naturels, agricoles et forestiers ont été consommés à hauteur de 21 310 hectares, dont 13 765 hectares destinés à l’habitat ». Autant d’espaces qui ont été remplacés et donc artificialisés, notamment pour le logement.

Face à cette expansion des villes, est-il encore possible d’inverser la tendance de l’artificialisation des sols ? Le rapport de France Stratégie évoque la piste de la renaturation des sols. Cela consiste à « désartificialiser » certains espaces afin de compenser la bétonisation.

Mais cette renaturation est complexe. « Déconstruction, dépollution, désimperméabilisation, construction de technosols indispensables à la végétalisation » et « reconnexion fonctionnelle aux espaces naturels ». Voilà les étapes à franchir pour parvenir à effacer les conséquences de l’urbanisation. Un projet difficile à évaluer car il dépend de l’importance de la transformation initiale des sols.

La France arrivera-t-elle à respecter ses engagements en matière d’artificialisation ? Difficile de le prévoir face à l’ampleur des changements à mettre en œuvre dans nos villes et donc notre société. Philippe Bihouix rappelle d’ailleurs que ceux-ci « devront s’étaler sur une génération tant les modes de transformation seront profonds ».

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