Le 15 décembre 2024, à la suite d’une tempête dans la mer Noire, deux pétroliers russes se sont échoués dans le Détroit de Kertch, situé entre les côtes russes et la Crimée, annexée depuis 2014 par la Russie. A eux deux, les pétroliers Volgoneft-212 et Volgoneft-239 transportaient plus de 9 200 tonnes de mazout. Il est estimé que, malgré les mesures prises par les autorités russes, plus de 40% du contenu de ces bateaux a terminé dans la mer. Les jours suivants le sinistre, cette marée de pétrole toxique s’est répandue. Elle a atteint Sébastopol, une ville située à plus de 250 km du naufrage. Malgré la mobilisation des bénévoles et des professionnels, les autorités russes déclarent 78 000 tonnes de sables contaminés. Plus largement, la quantité de sols intoxiqués pourrait s’élever à 200 000 tonnes. Cet événement est l’occasion de se replonger dans le désastre écologique que représentent les marées noires.
Une marée noire désigne un déversement en mer d’une quantité importante de pétrole brut ou de produits pétroliers lourds. Cette masse flottante est poussée par le vent et les courants qui l’emporte près des littoraux. Cette matière est extrêmement polluante, et touche non seulement les écosystèmes marins mais aussi ceux des côtes, qui se retrouvent également au contact des produits chimiques.
Aucun être vivant épargné
Les marées noires sont des catastrophes industrielles dont les effets sont les plus immédiats et tristement spectaculaires. En effet, cette nappe toxique entraîne non seulement une intoxication de tous les êtres vivants à ses abords, mais perturbe aussi durablement la chaîne alimentaire et le biotope des littoraux. Premièrement, les produits toxiques qui composent le pétrole ou ses dérivés vont empoisonner les êtres vivants. Dès leur premier contact avec les substances, les espèces peuvent mourir. Les poissons vont ingérer les substances par leurs branchies et polluer leur système respiratoire. Les cétacés ou les mammifères peuvent ingérer des poissons contaminés, ou lécher leur pelage recouvert de matière toxique. Suivant les types de pétrole stockés dans les barils, les dégâts sont plus ou moins immédiats. Pour ce qui est de la gazoline, qui compose à 60% le pétrole raffiné, l’empoisonnement est immédiat.
Deuxièmement, les marées noires peuvent blesser physiquement les animaux. Le cas le plus connu est celui des oiseaux, qui se retrouvent englués dans cette masse qui colle et alourdit leurs ailes.
Enfin, les marées noires affectent l’entièreté de la chaîne alimentaire, en partant de l’herbier sous-marin jusqu’à l’espèce humaine.
Au-delà des effets qui touchent directement les animaux, la marée noire peut toucher les habitats : la masse noire et épaisse va venir colmater les trous et les recoins qui servaient de refuge à la faune marine, qui se retrouve donc à la merci de la nappe toxique. Elle peut anéantir des récifs de coraux, qui accueillent par ailleurs des milliers d’espèces, dont la destruction sera inévitable. Et malgré toutes les actions humaines possibles pour essayer de purifier la zone d’un naufrage, le pétrole brut peut rester jusqu’à 10 ans dans l’environnement.
Les populations humaines également affectées
Loin d’être épargnés, les humains subissent également les conséquences de ce drame écologique. Sa place au sommet de la chaîne alimentaire menace l’Homme, qui peut ingérer, si les contrôles sanitaires ne sont pas efficaces, des aliments toxiques. Cette contamination peut entraîner des problèmes digestifs graves comme la dysbiose ou l’oesophagite. Mais aussi des maladies plus offensives tel que des cancers ou des problèmes respiratoires. Le CIRC (Centre International de Recherche contre le Cancer) considère le Benzène, l’une des composantes nécessaires pour raffiner le pétrole, comme un des agents les plus cancérogènes pour l’Homme. L’inhalation des vapeurs de la marée, bien que ce soit un cas plus spécifique, reste néanmoins à noter. En effet, la plupart des personnes, bénévoles ou salariées qui nettoient les littoraux à la suite d’une catastrophe s’exposent à des problèmes respiratoires et cutanés, s’ils entrent en contact avec la substance.
Plus largement encore, ces catastrophes sont à l’origine de dépenses faramineuses pour les Etats touchés. En France, il existe le dispositif POLMAR Terre-Mer. Ce plan de sauvetage des aires marines et des littoraux date de 1970. Son coût s’élève depuis à plus de 35 millions d’euros par an. Selon un rapport de l’Institut des Analyses Économiques et Sociales de Méditerranée Occidentale, les vingtaines de ports de Méditerranée sont équipés d’installations adaptées pour la collecte des déchets de navires. Ces dispositifs sont non seulement coûteux mais demandent aussi un entretien régulier. Ils entraînent donc des dépenses annuelles malgré l’absence d’utilisation des moyens. Un rapport plus ancien, de 2004, détaille les frais de nettoyage à la suite de la catastrophe Erika (1999). “L’ensemble représente un coût global d’un peu plus de 499 millions € pour 20 000 tonnes de fioul déversées, soit environ 25 000 € par tonne.”
Vers des catastrophes encore plus nocives ?
Pour revenir à cette marée noire dans le détroit de Kertch, elle représente un nouveau défi pour les Etats. En effet, ce qui rend cette marée noire encore plus dangereuse, c’est sa composition. C’est la première fois qu’un navire transportant du fioul lourd de qualité M100 provoque une marée noire. Ce type de fioul est particulier puisqu’il se solidifie à une température de plus de 25 degrés et possède une densité légèrement plus lourde que l’eau. Ainsi, le produit ne flotte pas, et ne crée pas de nappe. Il coule au fond de l’eau, contaminant directement les sols marins. Il reste alors à voir comment la Russie va gérer ce désastre, qui est une première mondiale. En effet, il n’existe, selon les autorités du pays : “aucune technologie éprouvée dans le monde pour l’éliminer [ le fioul ] dans l’eau ».
Pour aller plus loin, les rapports suivants apportent avec pertinence des détails sur le sujet :
https://hal.science/hal-04609186/document
https://apps.ecology.wa.gov/publications/documents/1008001.pdf