30 % de sable, 50 % de gravier, 15 % de ciment et de l’eau. Voilà la recette du matériau de construction le plus populaire du monde. Le béton plaît pour de nombreuses raisons mais derrière son succès se cachent plusieurs limites.
Le béton : ingrédient incontournable de la construction
80 % des bâtiments français sont en béton. Le constat est sans appel, c’est toujours le numéro un des matériaux de construction. Son avantage ? Il s’achète sous forme sableuse pour ensuite être transformé en liquide. Cela le rend facile d’utilisation et n’importe quel particulier ou professionnel peut s’en servir.
Le béton a aussi de nombreuses applications. Il sert à faire des briques et peut également être versé dans un coffrage pour faire des ouvrages aux multiples formes et aux usages quasi illimités. « Aujourd’hui, nul ne peut vraiment échapper à cette matière assez magique en soi, qui aura émergé à l’aube du XXe siècle, pour libérer la créativité d’architectes mythiques tels que Le Corbusier, Frank Lloyd Wright ou Oscar Niemeyer », écrit le journaliste Olivier Delcroix dans les colonnes du Figaro. Effectivement, le béton permet de laisser libre court à sa créativité pour ériger n’importe quel édifice.
Au-delà de cet aspect poétique, un autre argument plus terre-à-terre contribue au succès du béton : son prix. « Le béton, en raison de son faible coût de fabrication et de sa facilité d’emploi, constitue le matériau presque exclusif des chantiers les plus grands », déclarait le philosophe Anselm Jappe dans un article de Libération.
L’impact des carrières de sable
« Le sable, matériau essentiel au développement économique, est la deuxième ressource la plus exploitée dans le monde après l’eau », peut-on lire dans un rapport du Commissariat général au développement durable (CGDD). Le sable est très utilisé en construction car il compose le matériau phare du secteur : le béton.
Dès sa création, le béton pose question. Sa recette est plutôt coûteuse pour l’environnement. Le sable nécessaire pour la fabrication du béton peut venir de sablières. Ce sont des carrières où la principale activité est l’extraction de sable. L’enquête Plus économiques, plus écolos : comment transformer nos maisons ? de l’émission Sur le front, réalisée par Nina Montané et présentée par le journaliste Hugo Clément revient sur l’impact environnemental de ces carrières (archive enquête).
À Saint-Colomban près de Nantes (44), le sable est roi. L’entreprise Heidelberg Materials, deuxième plus grand groupe cimentier du monde, exploite une sablière via sa filiale GSM. Vue du ciel, cette carrière de sable ressemble à une longue cicatrice jaune et détonne avec les alentours verdoyants. De son côté, Lafarge Holcim, groupe franco-suisse, numéro un du secteur, possède aussi une sablière dans les environs.
Les zones consacrées à l’exploitation du sable sont immenses. Plusieurs étendues d’eau sont visibles au sein de cette seconde sablière mais elles n’ont rien de naturel. À force d’extraire du sable, le leader du secteur a fini par révéler des nappes phréatiques qui sont d’habitude profondément enfouies dans le sol.
« Une catastrophe écologique »
L’exploitation de telles sablières pose plusieurs problèmes environnementaux. L’eau des nappes phréatiques est exposée à d’éventuels polluants. Lorsqu’elle est en surface, l’eau subit aussi une forte évaporation. C’est d’ailleurs l’un des reproches qui étaient faits aux mégabassines, des plans d’eau à ciel ouvert. Cela peut affecter l’environnement autour des sablières qui n’a plus accès à cette eau ou alors de manière dégradée.
Pour Annie Le Poulen, membre de l’association La Tête dans le Sable interrogée par Hugo Clément, ces sablières représentent une « catastrophe écologique » et « un non-sens total ». L’objectif de l’association ? « s’opposer à l’extension des carrières de sable », peut-on lire sur son site web. L’enquête menée par Hugo Clément met aussi en lumière l’impact des sablières sur les exploitations agricoles dont l’accès à l’eau est maintenant réduit pour les raisons citées précédemment.
Le sable de Saint-Colomban : une bataille administrative
Quelques années après le reportage de France 5, où en est la situation à Saint-Colomban ? Pour le savoir, CS Actu a contacté Annie Le Poulen. Là-bas, la lutte contre les géants du ciment continue. Pour empêcher Lafarge et GSM d’étendre leurs exploitations à d’autres zones, « on a engagé des recours auprès du tribunal administratif », explique la militante.
Face à la demande d’une étude d’impact conjointe à Lafarge et à GSM, la première entreprise a « renoncé à son projet d’extension », détaille Annie Le Poulen. Elle reste néanmoins prudente quant à la suite des événements. En effet, le groupe Lafarge peut revenir à tout moment pour demander une nouvelle extension de ses terres et ainsi éviter cette étude d’impact conjointe.
Autre victoire plus récente, cette fois contre GSM. Les avocats de La tête dans le Sable ont annulé l’arrêté du maire de Saint-Colomban en raison d’une erreur sur « le travail préalable à la modification du Plan local d’urbanisme (PLU) pour transformer des terres agricoles en carrières », explique la militante. Récemment, le tribunal administratif a donné entièrement raison à l’association dans le « recours portant sur le volet concertation du PLU ». L’instance impose à la « commune de Saint-Colomban de verser 1500€ » à l’association. Le projet d’extension de GSM est donc ralenti.
« Ce qui est embêtant c’est que ça ne se joue pas sur une idée de la société (ici, l’écologie) mais sur une erreur administrative », regrette-t-elle. Annie constate aussi un manque de cohésion au niveau local à propos des sablières et de leur impact sur l’environnement.
Une ville divisée par le sable
Selon elle, l’association La Tête dans le Sable n’arrive « pas à toucher les gens de Saint-Colomban et des communes aux alentours ». Or, comme elle le dit, « tant qu’on arrivera pas à faire bouger les gens sur le fond du problème, on sera toujours en train de pinailler sur des détails ».
« On passe un peu pour des réactionnaires anti-tout, donc on n’arrive pas vraiment à discuter avec les gens de la commune », continue la militante. L’argument des emplois s’oppose à l’écologie, créant deux camps. « Les gens du bâtiment et des travaux publics ne nous aiment pas du tout ».
D’autant plus que certains « considèrent que c’est leur gagne-pain d’avoir du sable à proximité », raconte Annie Le Poulen. « C’est compréhensible, sauf qu’à aucun moment ils ne demandent à nous rencontrer », déplore-t-elle.
À Saint-Colomban, cette question du sable, et indirectement du béton, est donc toujours un sujet clivant. Un débat loin d’être fini puisqu’il affecte la région par son aspect à la fois environnemental et sociétal.
Les littoraux menacés par l’extraction du sable
Loin de là, l’extraction du sable se fait aussi en mer, au large de nos côtes. Des entreprises sont spécialisées dans l’extraction de ce sable venu des fonds marins. « La méthode d’extraction consiste à prélever le gisement sur 3 à 5 mètres d’épaisseur grâce aux passages successifs du navire sur le site d’extraction à vitesse réduite », détaille un rapport de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer).
Résultat, la surface des fonds marins est aspirée sur des kilomètres et, avec elle, tout son écosystème. Ainsi, « les opérations de dragage participent à l’érosion des côtes et la destruction des récifs coralliens », décrit le rapport du CGDD cité plus haut.
Rien qu’en France « il existe 21 sites d’extraction de granulats marins » répartis de l’Atlantique jusqu’à la Manche, détaille un rapport de l’économie bleue en France daté de 2022. Creusement du fond marin, modification des espèces près les lieux d’extraction… la liste des impacts environnementaux liés à l’extraction de sable marin est plutôt longue si l’on en croit l’étude de l’Ifremer.
Ce constat, il faut l’envisager à plus grande échelle car l’extraction de sable est une activité qui se joue au niveau mondial. D’après l’émission Sur le front, le sable « on en extrait dans le monde neuf fois plus que du pétrole ».
La polluante fabrication du ciment
Le ciment est essentiel pour la construction mais, là aussi, la production industrielle de ce matériau pose question. Le ciment est un liant qui sert à coller les éléments du béton entre eux (sable, graviers). Dans leur ouvrage Béton, enquête en sables mouvants, les architectes Alia Bengana, Antoine Maréchal et le photographe et réalisateur Claude Baechtold reviennent sur le bilan carbone du ciment et du béton. Ils expliquent que « 52 % » des émissions de CO2 du secteur de la construction sont liées au béton.
Dans le détail, « c’est la fabrication du ciment qui émet le plus de CO2 », continuent les auteurs. Ainsi, « le ciment dans le monde, c’est plus de 5 % de toutes les émissions de gaz à effet de serre. C’est deux fois plus polluant que tous les vols commerciaux de la planète », explique de son côté Hugo Clément.
Pour comprendre pourquoi le ciment a un tel bilan carbone, intéressons-nous à sa production. Le ciment est composé de « clinker », résultat de la cuisson de calcaire et d’argile dans un four. Le matériau est chauffé à 1400℃ ce qui génère du CO2. C’est donc à ce moment-là que la production de ciment pollue.
L’autre cause de pollution provient du combustible utilisé pour la cuisson : des pneus usagés. Ceux-ci « peuvent relâcher […] des dioxines et des furanes, en plus des métaux lourds et des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), explique Messika Revel, enseignante-chercheuse en écotoxicologie à Rennes (35).
Les personnes qui vivent à proximité de cimenteries sont donc exposées à des particules fines. Ces problèmes concernent aussi le personnel des cimenteries. « L’exposition professionnelle aux HAP concernerait près de 1,6 millions de salariés en France », rappelle le Centre de lutte contre le cancer Leon Berard dans un rapport.
Vers une construction plus verte ?
Le béton vert, une utopie ? Pas si l’on en croit les dires des géants du béton sur leurs propres sites internet. Une solution consiste à remplacer le « clinker par de l’argile calcinée pour produire du ciment bas carbone », explique Xavier Guesnu, directeur général de Lafarge France (Groupe Holcim) dans un communiqué.
Mais cela ne résout pas le problème de la combustion des pneus pour chauffer les fours des cimenteries. De plus, à part quelques pourcentages, le communiqué de Lafarge n’explique pas en détail en quoi ce ciment est vraiment bas carbone. Difficile donc d’évaluer la pertinence de ce béton d’autant plus qu’une autre méthode pour fabriquer du ciment bas carbone ressemble davantage à du greenwashing qu’à une véritable solution.
Autre possibilité, agir sur les différentes étapes de la fabrication du ciment et du béton. C’est ce qu’expliquent les auteurs de Béton, enquête en sables mouvants. Le clinker peut être produit de façon plus vertueuse en « utilisant l’énergie d’autres industries » et en « capturant le carbone ».
La quantité de clinker dans le ciment peut être réduite en remplaçant celui-ci par du laitier, résidu de la production d’acier, sans greenwashing cette fois. La réutilisation « de pans entiers de structures en béton » peut aussi fonctionner concluent les auteurs.
La terre crue comprimée, successeur du béton ?
Comme dit plus haut, le béton est roi. Pourtant, des architectes s’éloignent de ce paradigme pour aller vers de nouvelles solutions plus vertes. C’est le cas de la brique en terre crue comprimée. Celle-ci est aussi résistante qu’une brique en béton apprend-on dans l’émission Sur le front. L’architecte Paul-Emmanuel Loiret a créé une usine de briques en terre pour développer l’utilisation de ce matériau. Son avantage majeur ? « Il n’y a pas de cuisson donc le bilan carbone est largement plus faible », déclare-t-il à France 5.
La recette de la brique en terre crue est assez simple. De la terre, composée d’argile, et de l’eau. La terre utilisée provient de chantiers où l’on creuse le terrain avant de construire un bâtiment. Au lieu de simplement s’en débarrasser, celle-ci est revalorisée.
Les deux ingrédients sont comprimés pour former la brique. Celle-ci est ensuite séchée naturellement pendant plusieurs semaines. Enfin, la brique est prête à l’emploi. La brique en terre crue, est également « recyclable à l’infini » contrairement à la brique en béton, détaille Hugo Clément.
Le secteur de la construction doit donc chercher à réduire son impact environnemental. Cela passe par la démocratisation de solutions alternatives au béton. Certaines sont appliquées depuis plusieurs années déjà mais restent tout de même marginales face aux méthodes de construction conventionnelles.