Conscient de son instabilité, l’ancien gouvernement Barnier confiait sa survie politique entre les mains du Rassemblement national. Devant lui accorder de larges concessions, l’une d’entre elles consistait à s’attaquer à l’AME. Bien que cette dernière ne représente qu’une goutte d’eau (1,2 milliard d’euro en 2022) dans l’océan de la Sécurité sociale (640 milliards d’euro en 2024, soit 0,6% de son budget), l’extrême droite et l’ancien gouvernement Barnier entendaient pourtant la tailler pour la réduire au maximum.
Qu’est-ce que l’AME ?
Introduit en 2000 par le gouvernement Jospin, ce dispositif offre un accès aux soins aux étrangers en situation irrégulière. Celui-ci est attribué sous certaines conditions telles que :
- résider en France depuis plus de 3 mois
- ne pas avoir de carte de titre de séjour depuis plus de 3 mois
Concernant les enfants mineurs, ceux-ci bénéficient de l’AME sans délai et sans obligation de répondre à la condition de résidence. Ainsi, l’Etat prend en charge les soins médicaux et hospitaliers à hauteur de 100%, et ce sans avance de frais.
Ce dispositif reste plus limité que chez certains voisins européens. En effet, l’Espagne et le Portugal offrent un accès universel au système de santé y compris aux étrangers en situation irrégulière, ce qui n’est pas le cas chez nous.
Critiques adressées à l’AME
Une partie de la caste politique, notamment la droite et l’extrême droite, souhaite revenir sur ce dispositif, dénonçant sa trop grande “générosité” et les soi-disant abus qui y sont liés. Certains élus d’extrême droite affirment enfin que cette aide conduirait à la non-maîtrise des flux migratoires.
Récemment, dans le cadre de l’examen du dernier projet de loi immigration de novembre 2023, la droite sénatoriale menée par Bruno Retailleau fit adopter le remplacement de l’AME par une Aide médicale d’urgence (AMU). Finalement non retenu par la Commission des lois de l’Assemblée nationale lors de l’examen de la loi, ce nouveau dispositif avait pour ambition de réduire l’offre de soins aux seuls urgences, maladies graves et douleurs aiguës, aux soins liés à la grossesse, aux vaccins réglementaires et aux examens de médecine préventive.
Ces restrictions visaient alors à réaliser la minime économie de 350 millions d’euros. Mais ces économies seraient rendues vaines en raison “des reports sur les soins hospitaliers” bien “plus onéreux” d’après le rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’inspection générale des finances (IGF) de 2019.
Les économies d’aujourd’hui sont les dépenses de demain
Ces organismes insistent sur la nécessité de prendre en charge rapidement les maladies, au risque du développement conséquent de celles-ci. La ministre déléguée aux professions de santé de l’époque, Agnès Firmin Le Bodo, rappelait lors de l’étude de cette proposition de loi qu’il est “préférable de prendre en charge une maladie bénigne, avant qu’elle ne se transforme en pathologie grave, ou avant qu’elle ne se propage”.
A ce propos, une tribune parue dans Le Monde le 2 novembre 2023, signée par 3 000 soignants rappelait qu’en Espagne “la restriction de l’accès aux soins des étrangers en situation irrégulière votée en 2012 a entraîné une augmentation de l’incidence des maladies infectieuses ainsi qu’une surmortalité”. D’où sa réhabilitation en 2018. Ces maladies se répandent par la suite plus largement dans l’ensemble du corps social, composé également de citoyens susceptibles de les attraper et de les transmettre.
En somme, une large majorité de médecins qui, par ailleurs, refusent de ne pas soigner des malades au motif qu’ils ne le seraient pas suffisamment, assène que réformer l’AME ferait “courir un risque majeur de désorganisation du système de santé, d’aggravation des conditions de travail des soignants et de surcoûts financiers importants”.
Un appel d’air migratoire ?
L’assertion assénée régulièrement par l’extrême-droite selon laquelle l’offre de soins permise par l’AME contribuerait à un appel d’air migratoire ne résiste pas à l’épreuve des faits. En effet, selon une enquête réalisée en 2019 par l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) de l’université de Bordeaux, seules 51 % des personnes éligibles à l’AME en bénéficieraient. L’organisme rappelle aussi que “la plupart des migrants ont peu connaissance de l’AME et n’ont pas tous la capacité à se saisir d’un dispositif complexe”. Il semblerait ainsi que les migrants rejoignent la France pour d’autres raisons que celles de se soigner.
Ainsi, le taux de non-recours de l’AME est donc très élevé. Et il ne se résorbe pas énormément avec le temps puisque 34% des étrangers en situation irrégulière restent non-couverts après 5 ans de résidence sur le territoire (rapport de 2023 de Médecins du monde).