Il est loin le temps où il fallait attendre une semaine entière pour voir son équipe préférée jouer. Il n’est aujourd’hui pas rare que les plus grands clubs enchaînent des matchs tous les trois jours. Une cadence due à l’accumulation des compétitions qui devrait, à première vue, nous ravir. Cependant, ce calendrier surchargé, impliquant un enchaînement de matchs impose aux joueurs de malmener leur corps pour les besoins du sport et du spectacle.
Un calendrier surchargé et des joueurs épuisés
Depuis quelques années, on peut entendre régulièrement des joueurs se plaindre de ce rythme effréné. Jude Bellingham, milieu de terrain anglais évoluant au Real Madrid, confie : « C’est très difficile d’avoir des emplois du temps surchargés. C’est dur pour le corps : mentalement et physiquement, on est épuisé. » Ce constat est partagé par nombre de ses coéquipiers. Dani Carvajal, défenseur de l’Espagne et du Real Madrid, s’indigne : « Il est impossible d’être au complet avec plus de 72 matchs. La qualité du jeu diminue et nous en souffrons, ainsi que nos familles. » Le joueur espagnol a d’ailleurs subi, peu après cette déclaration, une grave blessure aux ligaments croisés, symptomatique d’un corps trop sollicité.
Jules Koundé, défenseur français évoluant au FC Barcelone, abonde dans ce sens : « Chaque année, le calendrier est de plus en plus chargé. Nous avons plus de matchs et moins de temps pour récupérer. Personne ne nous écoute alors que nous sommes les acteurs principaux. » Son ancien coéquipier en équipe de France, Raphaël Varane, a quant à lui mis un terme à sa carrière à seulement 31 ans. Ce dernier sentait que son corps avait atteint sa limite et ne pouvait plus supporter la régularité et l’intensité des matchs.
Un rythme insoutenable
Un rapport de la FIFPRO, l’organisation mondiale de défense des joueurs professionnels, est venu confirmer cette réalité alarmante. Après avoir étudié la charge de travail de 1 500 joueurs à travers le monde, il apparaît que plus de la moitié (54 %) d’entre eux ont été confrontés à une surcharge excessive de matchs lors de la saison 2023-2024. Ce phénomène affecte tout particulièrement les jeunes talents, qui accumulent les minutes de jeu à un rythme inédit. Par exemple, le jeune prodige allemand Florian Wirtz compte déjà 11 501 minutes de jeu avant l’âge de 21 ans, soit plus du double de son aîné Michael Ballack au même âge. De même, Vinícius Jr., star brésilienne du ballon rond, affiche à 24 ans un total de 369 apparitions, quand Ronaldinho n’en comptait que 163 au même âge.
Les cas comme celui de Julián Álvarez, attaquant argentin, illustrent l’ampleur de la surcharge pour les joueurs internationaux. Après une saison chargée avec Manchester City, Álvarez a dû enchaîner avec la Copa América puis les Jeux Olympiques, totalisant un impressionnant cumul de 83 matchs disputés en l’espace d’une seule année. Cette cadence étourdissante n’est pas sans conséquences : les blessures sérieuses se multiplient, avec des arrêts prolongés, éloignant les joueurs des terrains pendant des mois et compromettant leur progression.
Pep Guardiola, ancien entraîneur d’Álvarez, déplore cet enchaînement frénétique : « Pendant 11 mois, c’est du jeu, du jeu, du jeu. Avant, la pré-saison durait quatre ou cinq semaines. Maintenant, nous avons 10 jours. Nous voulons jouer au football et en profiter, mais nous devons réduire. C’est trop. » Ce cri d’alarme révèle une situation devenue intenable pour les joueurs et les entraîneurs qui observent, impuissants, les impacts d’un calendrier surchargé sur la santé des effectifs.
La bataille juridique contre la FIFA
La situation a atteint un tel niveau de gravité que des syndicats, dont l’UNFP en France, ont décidé de porter l’affaire devant les tribunaux. En juin 2024, ils ont intenté une action en justice contre la FIFA, contestant la légalité des décisions de cette dernière en matière de calendrier. La mise en place de la Coupe du Monde des Clubs à 32 équipes, prévue pour 2025 étant en tête des accusations. Pour de nombreux joueurs, cette compétition est particulièrement critiquée car elle empiète sur leur seule période de repos annuel, mettant en péril leur droit aux vacances et à la récupération physique et mentale.
Les représentants des clubs européens ont également déposé une plainte auprès de la Commission européenne le 14 octobre dernier. Ils accusent la FIFA d’abus de position dominante en soulignant le manque de concertation ainsi que l’augmentation continue des compétitions. Ces organismes affirment que la FIFA, en imposant un calendrier toujours plus chargé, fait passer les intérêts financiers avant la santé des joueurs. La FIFA s’en défend en citant des discussions avec la FIFPRO et la PFA, le syndicat des joueurs anglais, lors d’une réunion à Manchester en 2022. La FIFPRO considère cependant ces consultations insuffisantes et réclame une réelle prise en compte des intérêts des joueurs.
« Je pense que l’on est proche d’une grève »
Au-delà de la santé des athlètes, cette saturation des calendriers questionne aussi la qualité du spectacle. Avec des joueurs épuisés, incapables de récupérer entre les matchs, le niveau de jeu tend à diminuer, ce qui affecte les performances des équipes et l’intérêt des compétitions. Les entraîneurs, confrontés à une rotation incessante pour préserver leurs joueurs, peinent à maintenir une constance dans les performances.
Dans ce contexte, la menace d’une grève générale prend de l’ampleur. Les joueurs, épuisés, estiment qu’ils n’ont plus d’autre option pour se faire entendre et dénoncer l’irresponsabilité des instances dirigeantes quant à leur santé. Jules Koundé résume cette frustration collective : « Il va arriver un moment où nous allons devoir faire grève parce que c’est la seule manière de faire entendre notre voix auprès de ceux qui décident. » Dans la même veine, Rodri, récemment élu Ballon d’Or, s’est exprimé sur le sujet : « Je pense que l’on est proche d’une grève. Si cela continue comme ça, à un moment, on n’aura pas d’autres choix. » Tout comme son coéquipier en sélection Dani Carvajal, le milieu de terrain espagnol a été touché par une grave blessure aux ligaments peu de temps après cette sortie médiatique. Si celle-ci l’éloigne des terrains durant de nombreux mois, elle a au moins l’intérêt de soutenir ses revendications.
Aleksander Ceferin, président de l’UEFA, a reconnu les limites de cette charge accrue : « Nous devons reconnaître que le calendrier des matchs a atteint sa capacité maximale. Nous avons atteint les limites. » L’UEFA ne semble pour autant pas mettre de changement en place et n’initie même, au contraire, que des projets alourdissant encore le calendrier. Les grandes réformes des compétitions européennes, mises en place cette année, rajoutent par exemple, au moins deux matchs à chaque équipe. Le président de l’UEFA estime : « En revanche, qui se plaint ? Ceux qui ont les salaires les plus élevés et les clubs qui ont 25 footballeurs de haut niveau. Ceux qui gagnent moins et ont à peine onze joueurs ne se plaignent pas et adorent jouer. » Ces propos, pouvant être jugés condescendants, démontrent que la problématique des calendriers surchargés n’est pas encore réellement prise au sérieux par les instances décisionnaires.