Ce qui attendait la région de Valence, ce mardi soir, dépasse tout entendement. Une inondation aussi rapide et d’une telle ampleur ne s’est que très rarement produite en Espagne. Dans le sud de la région, Alfafar, Catarroja, Chiva, Turís, Pedralba, Riba Roja ou encore Alzira sont autant de villes durement touchées par la catastrophe.
Un véritable traumatisme pour la population. Certaines familles sont restées coincées dans leur maison pendant plusieurs jours, sans eau, ni électricité. Elles n’avaient pas non plus les moyens de contacter l’extérieur car le réseau était coupé. “J’ai un camarade de classe dont je suis resté sans nouvelles pendant trois jours. “, raconte Alonso Alcázar Pérez, un Valencien de 20 ans, étudiant en ingénierie mécanique. Beaucoup d’habitants ont également été surpris par la montée des eaux alors qu’ils se trouvaient dans les rues ou en voiture.
Pour porter secours aux sinistrés, les citoyens s’organisent. Ils sont parfois les premiers à entrer dans certains villages pour apporter eau et nourriture. Ils se chargent aussi de libérer ceux qui se trouvent coincés dans leur maison. Et pour y accéder, il faut parfois escalader des voitures ou franchir différents obstacles. “Les images communiquées sont déjà terribles mais elles sont bien en-deçà de la réalité”, s’émeut Alonso Alcázar Pérez. Lui s’estime chanceux car sa maison a été épargnée.
Les jours passant, des risques d’épidémies commencent à apparaître. Entre les corps qui n’ont pas encore été récupérés et l’eau stagnante, la boue qui demeure dans la rue se place en terreau fertile pour le développement des bactéries. Les volontaires qui s’affairent doivent s’en protéger. Certains ont développé des infections importantes, notamment au niveau des pieds.
Cette soirée d’horreur, d’autres l’ont vécu à distance. C’est le cas de Lou Clément. L’étudiante en dentaire âgée de 20 ans n’a pas voulu prendre le risque de retourner à sa maison située dans la ville de Riba Roja, près de la frontière avec l’Eliana. Elle n’a pu regagner son domicile que le vendredi. En attendant, elle logeait chez une amie dans le centre-ville.
“Mes proches sont sains et saufs mais le mardi soir était très angoissant. Avec la tempête, la couverture réseau a été interrompue. Je n’ai pu recommencer à communiquer avec ma famille que le mercredi matin. Je suis restée sans nouvelle pendant toute la nuit. Je n’avais que quelques vidéos publiées sur les réseaux sociaux pour tenter de me rassurer”, témoigne l’étudiante. Son stress est redescendu une fois rentrée chez elle. “Quand ma mère est venue me chercher, je l’ai prise dans mes bras”, ajoute-t-elle.
La responsabilité du gouvernement questionnée
Les Valenciens déplorent le manque d’informations et de réactivité quant à cette tempête. La pluie tombait en trombe depuis déjà plusieurs heures avant que le message d’alerte du gouvernement n’arrive sur les téléphones. Lorsqu’il a fini par arriver vers 20h pour demander aux habitants de ne pas sortir de chez eux, l’eau était déjà montée dans beaucoup d’endroits.
Des villages du sud de Valence sont restés coupés du monde pendant près de quatre jours avant l’arrivée des secours. Parfois, ce sont des bénévoles qui sont arrivés en premier sur les lieux. C’est le cas à Alfafar. “On n’explique pas pourquoi les secours ont tardé autant”, déplore Alonso Alcázar Pérez.
Certaines universités avaient même pris la décision de suspendre les cours avant que la région n’envoie une alerte. “On a reçu un mail mardi midi pour prévenir du basculement en visio pour les cours de l’après-midi. On nous a conseillé de rentrer chez nous”, explique Manon Tasse, une étudiante française scolarisée en dentaire dans la même université que Lou Clément. Ses cours reprendront mardi en visio.
D’autres ont pu se rendre compte plus rapidement de l’importance de la tempête via des applications privées. C’est notamment le cas de la mère de Lou Clément. “Elle m’a prévenu dès le lundi soir d’un potentiel risque”, indique l’étudiante. Comme ses parents ont perdu la connexion le mardi en début de soirée, ils n’ont reçu le premier message du gouvernement local qu’à 7h le lendemain.
“Le gouvernement local a sous-estimé ce qui se préparait, beaucoup d’espagnols sont énervés par rapport à ça”, explique Lou Clément. “Ce raté s’explique par une combinaison entre le manque d’organisation et un événement qui n’était pas arrivé depuis 70 ans”, estime de son côté Alonso Alcázar Pérez.
Des dégâts considérables
Voitures renversées, routes affaissées, ponts effondrés, logements inondés… Le coût des dégâts matériels s’élève à plusieurs milliards d’euros. Les réparations s’étaleront sur plusieurs mois, voire des années. Le gouvernement espagnol souhaite donner la priorité au rétablissement des axes de transport. La destruction de certaines voies routières freine l’acheminement de l’aide aux habitants.
Les prochains mois vont rimer avec une réorganisation du quotidien. Au décès d’un proche ou d’une connaissance peut s’ajouter la perte d’une maison, d’une voiture, ou d’un commerce. Parfois tout en même temps.
Des voies de métro ont également été détruites. Pour certains habitants, les déplacements entre le domicile et le travail vont inévitablement se compliquer. “Je vais devoir amener ma petite sœur en voiture à l’université. Et on devra s’attendre mutuellement. Pour ça, on va devoir partir à 6h moins le quart du matin et rentrer vers 22h30 – 23h. Ça va faire de très longues journées, et on a de la chance d’avoir encore la voiture”, explique Lou Clément. Le pont qui enjambe le fleuve de Turía pour rejoindre Riba Roja s’est écroulé. La ligne de métro ne peut donc plus fonctionner.
Pour l’heure, son université a basculé les cours en distanciel. Cette décision semble nécessaire mais suscite de l’inquiétude quant à la poursuite de l’année. Pour ces études, les cours pratiques sont essentiels voire indispensables. “On va prendre beaucoup de retard sur ce que l’on doit faire. Il y a un enjeu, et particulièrement pour les dernières années qui doivent valider le diplôme. Dans ma fac, on est une minorité à vivre dans les zones touchées mais la circulation en métro va prendre des mois à se rétablir”, rapporte l’étudiante.
D’autres universités adoptent une ligne de conduite différente. Celle d’ingénierie polytechnique a déplacé des examens initialement prévus cette semaine à la semaine suivante. Certains étudiants font pourtant partie des sinistrés. “Je ne suis pas directement concerné mais je n’ai pas la tête à travailler. Je suis incapable de me concentrer sur mes cours en sachant ce qu’il se passe à près de dix kilomètres de chez moi”, déplore Alonso Alcázar Pérez. Pour l’instant, il n’y a pas encore de directive des pouvoirs publics en ce qui concerne les universités.
Le centre-ville n’a lui pratiquement pas été impacté. “Mis à part un arbre qui est tombé non loin de chez moi, je n’ai pas vu de gros dégâts”, rapporte Manon Tasse. La situation géographique du centre de Valence la place un peu plus à l’abri des tempêtes. Dans les centres commerciaux, il y a toutefois des pénuries notables. “Il n’y a plus du tout d’eau, de fruits et légumes, de viande et les rayons frais commencent à se vider”, reprend la française.
Un phénomène météorologique qui n’est pas nouveau
La goutte froide se manifeste régulièrement dans la région car elle est typique du climat méditerranéen. Il s’agit d’une masse d’air froide située en altitude susceptible d’entraîner de fortes précipitations. Par le passé, elle avait déjà produit des inondations, mais jamais d’une telle ampleur.
Cette goutte froide, venue du proche Atlantique, est également responsable des épisodes d’inondations survenus dans le sud-est de la France. La cadence et les conséquences de ces catastrophes sont accentuées par le dérèglement climatique. “Le sud de l’Europe est particulièrement exposé. D’une part à cause des épisodes dits de « goutte froide », mais aussi parce que le bassin méditerranéen est à la confluence de nombreux effets du changement climatique, c’est un hotspot climatique”, déclare le climatologue François Gemenne au micro de Public Sénat. Dans un futur proche, les gouvernements devront se pencher sur ces nouveaux risques pour mieux les prévenir.
Le roi Felipe VI se rend, ce dimanche, dans les zones sinistrées. Trois jours de deuil national ont été décrétés jeudi. 10 000 pompiers et gendarmes supplémentaires ont été dépêchés hier sur le terrain pour tenter de retrouver les personnes toujours disparues.