Origines de l’affaire
Les soupçons prennent lieu au moment d’un signalement anonyme déposé à l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) le 20 janvier 2014. Il est alerté sur des cas “d’emplois fictifs présumés” de la part du FN et de sa présidente de l’époque, Marine Le Pen, députée européenne de 2004 à 2017. Dès lors, une enquête administrative est ouverte, concluant que Catherine Griset, cheffe de cabinet de l’ancienne patronne du FN “n’aurait passé que 740 minutes, soit environ douze heures” à Strasbourg. Alors même qu’elle occupait, supposément, le rôle d’assistante parlementaire entre octobre 2014 et août 2015.
Puis, une enquête judiciaire est ouverte par la justice française en mars 2015 pour abus de confiance et plus d’une vingtaine de mise en examen sont prononcées.
C’est donc finalement en décembre 2023, après 9 ans d’enquête, que les juges d’instruction demandent le renvoi du RN devant la justice.
Des risques importants pour les cadres du RN
Il s’agit ici d’un procès dans lequel Marine Le Pen joue gros. Celle qui fut la “co-décisionnaire, avec Jean-Marie Le Pen, des choix d’équilibrage des enveloppes budgétaires” agissant “dès lors délibérément, en toute conscience de détourner les fonds publics de leur affectation initiale” selon Cécile Meyer-Fabre et Marie-Catherine Idiart, vice-présidentes chargées de l’instruction, risque jusqu’à 10 ans de prison et 1 million d’euro d’amende, le tout assorti de 5 ans d’inéligibilité. Cependant, puisque celle-ci exerçait un mandat électif public au moment des faits, cette peine pourrait s’aggraver à 10 ans d’inéligibilité, conformément à l’article 131-26-1 du Code pénal.
L’actuel président du parti, Jordan Bardella n’est pas sans lien avec cette affaire. Puisqu’il aurait participé à fabriquer un dossier de preuves factices pour justifier de l’effectivité de son travail avec des documents apocryphes. Selon Libération, un stagiaire du nom de Paul, travaillant pour l’eurodéputé Jean-François Jalkh en même temps que Jordan Bardella, a affirmé avoir “créé des faux dossiers pour des assistants qui n’ont jamais travaillé pour le Parlement européen”, notamment celui de ce dernier.
Ainsi, le chauffeur de Jean-Marie Le Pen, son garde du corps, l’assistante personnelle de Marine Le Pen ou encore le graphiste du parti sont autant de personnes ayant été embauchées au titre de collaborateurs parlementaires, sans jamais avoir mis les pieds à Strasbourg.
D’après les enquêteurs, l’ancienne présidente du parti d’extrême droite a demandé à chaque eurodéputé de n’engager qu’un seul collaborateur, et de mettre à disposition du parti le reste de l’enveloppe (d’un montant de 21 000 euros mensuels). Ceux-ci ont mis la main sur un tableau présentant quel collaborateur était rattaché à quel élu, en indiquant le montant. Et devant le nom de certains de ces assistants était mentionné “fn”, signalant qu’ils travaillaient pour le parti et non pour l’élu.
Défense du parti
Au premier jour du procès, la défense du Rassemblement national a demandé à saisir la Cour de justice de l’Union européenne pour qu’elle lui donne “une définition précise du travail d’assistant”. Et de savoir si l’interdiction de travailler pour un parti ne doit pas s’entendre “uniquement au niveau européen”. Mais la démarche paraît fragile au vu de la clarté du règlement du Parlement européen, qui s’est manifestée lors du procès du Modem où de nombreux élus ont été condamnés, malgré de moindres éléments à charge.
Un autre argument largement employé par nombre d’accusés est celui que les assistants parlementaires ont été mis à disposition des élus, justifiant le fait que ceux-ci n’ont pas ou peu travaillé pour l’eurodéputé avec lequel ils devaient œuvrer. Un argument rapidement réfuté par la présidente du tribunal, arguant que le contrat d’assistance stipule que le collaborateur “assiste l’employeur dans l’exécution de son mandat parlementaire”.
Marine Le Pen a donc répondu, en admettant ainsi le caractère erratique de ces collaborateurs, que si le Parlement avait constaté des erreurs, il aurait dû les alerter.
Un autre argument allégué par cette dernière est que “l’activité politique est indissociable du mandat de député”, justifiant donc les tâches des collaborateurs éloignées voir sans rapport avec le Parlement européen. Travailler pour le parti correspondrait ainsi à cette mission “politique”. Le parquet a donc rappelé que “travailler pour un parti et non pour le travail parlementaire de son député est interdit”.
Aveux de membres
Certaines personnes ayant pris part à ce système de fraudes ont confirmé les doutes des enquêteurs. Gaël Nofri a avoué en 2017 avoir “été rémunéré par des fonds européens alors qu’il travaillait comme conseiller sur la campagne de Marine Le Pen”. Ce dernier a en effet signé en mars 2012 un contrat mentionnant sa fonction de collaborateur de l’eurodéputé Jean-Marie Le Pen, tandis qu’il travaillait sur la campagne présidentielle de sa fille.
Pire encore, pensant être salarié du parti, un contrat d’assistance parlementaire le liait déjà au président du Front national de l’époque entre octobre et décembre 2011.
De plus, l’ex eurodéputé Fernand Le Rachinel a avoué que lors de son premier mandat (1999-2004), le parti fonctionnait déjà de cette manière. Celui-ci a reconnu l’interchangeabilité des assistants “certes, sur le papier, c’était Micheline Bruna et Thierry Légier. Mais deux autres m’ont assisté dans mes dossiers, mesdames Bardi et Salagnac”. Bien que Thierry Légier fut en réalité le garde du corps de Jean-Marie Le Pen, et Micheline Bruna son assistance personnelle, travaillant dans son domaine de Montretout.
Face à ces accusations, certains cadres actuels du parti se présentent comme victimes d’un système politico-judiciaire. Tel que l’a affirmé Jean-Philippe Tanguy “notre ligne de défense, elle est simple, c’est que tout cela est faux, c’est une machination de nos adversaires socialistes”. Cette posture de victime, malgré les probables futures condamnations, peut servir le RN et limiter les possibles dégâts dans les urnes lors des prochaines élections. Marine Le Pen a quant à elle déploré une “tonalité de partialité” chez la présidente du tribunal, manifestant une “tentative de déstabilisation” selon Jordan Bardella.
En somme, si le parti d’extrême droite, et notamment Marine Le Pen, à beaucoup à perdre avec ce procès, il existe des voies de recours. Il lui est notamment possible de faire appel d’une possible peine d’inéligibilité, la suspendant ainsi jusqu’à décision définitive. D’autant que cette peine peut être accompagnée de sursis et donc ne pas avoir lieu.
La prochaine élection présidentielle s’avère cruciale pour celle qui figure déjà en tête des intentions de vote dans tous les scénarios possibles (face à Attal ou Philippe). Il est donc permis de croire que de telles sanctions n’empêcheront pas sa candidature.