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Netflix : l’Egypte porte plainte.

Netflix a récemment sorti une bombe en annonçant la sortie de son documentaire sur Cléopâtre. Le choix de casting pour l'actrice jouant la reine fait polémique.

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Photo du plafond du Temple Medinet Habu à Louxor, en Egypte par notre journaliste Clara Privitera, tous droits réservés.

Netflix a récemment sorti une bombe en annonçant la sortie de son documentaire sur Cléopâtre. Le choix de casting pour l’actrice jouant la reine, ainsi que les allégations du documentaire fait polémique. Mais qu’en dit réellement l’Histoire ?

Les faits :

Le scandale est à propos du choix de narration et d’actrice qui joue la reine Cléopâtre dans l’un des épisodes de la série documentée “African Queens”  – ou Reines d’Afrique. Jada Pinkett Smith, qui en est la productrice exécutive, établit que Cléopâtre VII Thea Philopatôr, la dernière reine de l’Egypte pharaonique, serait noire. 

« Étant donné que Cléopâtre se représente comme une Égyptienne, il semble étrange d’insister pour la dépeindre comme une Européenne à part entière.”

Dr. Ashton, une experte interviewée durant le documentaire, explique ce choix de casting.

Seulement, voilà, ce n’est pas ce qui est pointé du doigt. Le documentaire veut dépeindre la multiculturalité de l’Egypte durant cette période et la diversité. Le problème étant que Cléopâtre a un intérêt particulier au sein de cette diversité durant l’Histoire puisqu’elle est la seule de toute sa dynastie à s’intégrer à son peuple en parlant déjà sa langue, en adoptant ses coutumes et ses traditions, et c’est pourquoi les Égyptiens accordent une attention particulière à cette reine qui a donné sa vie pour la grandeur de l’Égypte.

La dynastie ptolémaïque dont fait partie la reine est une dynastie qui est restée dans la ville d’Alexandrie, petit bastion bien distinct de l’Egypte. C’est là toute la complexité de son histoire et de sa légitimité au sein des populations égyptiennes.

Le debunk : 

La tombe de Cléopâtre n’ayant pas encore été retrouvée, nous ne pouvons faire d’affirmation sur sa couleur de peau. Néanmoins, les historiens dénoncent le parti que prend le documentaire. 

Ce dernier prend la ligne directrice presque complotiste qui affirme que les historiens falsifient l’histoire noire au profit d’une puissance blanche et européenne.

Dans la bande-annonce, nous apercevons le témoignage d’une femme âgée qui affirme que sa mère lui inculquait de ne pas croire ce que l’école apprenait aux enfants et que Cléopâtre était bel et bien noire. 

Ici, c’est une remise en cause des recherches scientifiques et historiques de chercheurs et d’historiens du monde entier et surtout égyptiens. Les méthodes sont rigoureuses et passent par une phase d’hypothèse qui précède la phase des affirmations scientifiques. Les historiens travaillent sur les sources et, dans ce cas précis, les ADN des momies, et les représentations murales, ainsi que les sources contemporaines grecques. Malheureusement, aucune information sur la couleur de peau de la reine n’a été transmise par ces sources et nous n’avons pas de traces ADN directes. 

L’élément scientifique avancé par les détracteurs s’appuierait sur une étude des ossements retrouvés en Turquie, semblant appartenir à la plus jeune sœur de la reine Cléopâtre : la Princesse Arsinoé IV. 

J’attire votre attention sur le fait que rien ne peut établir génétiquement que ces ossements sont ceux de la princesse, seules des déductions historiques en ont fait l’hypothèse.

L’archéologue viennois Hilke Thur, qui a tenté de prouver que les ossements étaient ceux de la princesse, a affirmé que le résultat ADN “n’a pas apporté les résultats que nous espérions trouver.”

L’affaire pourtant très médiatisée est scientifiquement très réfutée. Pourtant, elle n’a de cesse de s’immiscer dans l’hypothèse collective.

« Nous n’avons pas souvent l’occasion de voir ou d’entendre des histoires sur les reines noires, et c’était vraiment important pour moi, ainsi que pour ma fille, et juste pour que ma communauté puisse connaître ces histoires, car il y en a des tonnes. ”

Jada Pinkett Smith.

Le tombeau des vérités ? 

Tout d’abord, l’emplacement du Mausolée. Durant l’époque romaine, les morts étaient enterrés en périphérie des villes. Seules les figures masculines importantes pouvaient éventuellement se faire enterrer à l’intérieur de la ville. Alors, l’emplacement de ce tombeau démontre l’importance de la personne de son vivant. Ensuite, la forme du tombeau. Le premier bloc de base, carré, supporte un bâtiment octogonal et un toit pyramidal. Cette architecture est propre à une seule autre, celle du grand phare d’Alexandrie. Avec les vestiges de colonnes retrouvés à l’intérieur en forme de bottes de papyrus, les historiens ont déduit que ce tombeau abrite une importante figure égyptienne. De plus, les ossements retrouvés ont permis d’identifier le sexe, c’est une jeune femme.

Source : 

La princesse Arsinoé IV aurait été assassinée par Marc-Antoine en -41 sur ordre de sa célèbre sœur. Le lieu correspond car c’est dans la ville d’Ephèse que l’assasinat aurait eu lieu, après le bannissement de la princesse par Jules César.

Le crâne de la princesse Arsinoé ayant disparu pendant la Seconde Guerre mondiale, les chercheurs l’ont reconstitué à partir de notes et de croquis réalisés dans les années 1930. Il est donc impératif de noter qu’aucune étude approfondie et directe n’a été faite sur le crâne. 

De plus, les études faites sur le squelette montrent que la jeune fille décédée avait entre 14 et 17 ans, certains pousseraient jusqu’au début des 20 ans, ce qui entre en contradiction avec les dates de naissances retenues pour la princesse. Cette dernière devrait être un peu plus vieille.

Cléopâtre et Arsinoé sont présentées comme étant demi-sœurs, ne partageant peut-être pas la même mère. Leur père, lui, descend de la dynastie ptolémaïque, une dynastie macédonienne, établie par Ptolémée I, général d’Alexandre Le Grand.

Cléopâtre VII surnommée la Grecque.

La dynastie ptolémaïque est une dynastie instaurée par Ptolémée 1er, diadoque d’Alexandre Le Grand, après la conquête de l’Egypte par le thrace et la mort en Irak de ce dernier. Pour maintenir la région sous contrôle et ainsi asseoir une dominance légitime vis à vis des autres diadoques, Ptolémée 1er se fait proclamer roi d’Egypte ( ou basileus* ).

Aucune source affirme que le roi a reçu le titre de Pharaon, pourtant il va s’acharner à asseoir son pouvoir en Egypte, parfaitement conscient que le titre de Basileus ne signifie rien pour les égyptiens. C’est pour cette raison que son fils Ptolémée II Philadelphe se fait couronner Pharaon par les prêtres égyptiens. 

*basileus : signifie “roi” en grec ancien. Il a été utilisé pour désigner les empereurs romains et aussi utilisé pour désigner, lors de la période héllenistique**, des souverains d’origines macédoniennes.

**L’époque hellénistique : période de l’Histoire de la Grèce Antique allant de la mort d’Alexandre le Grand en -323 avant J.C jusqu’en -31 avant J.C, lors de la défaite de Cléopâtre VII ( celle dont nous parlons ) à la bataille d’Actium. C’est la fin de la mise en place de la domination romaine sur le monde grec.

La dynastie est restée dans les mœurs de la pureté du sang, en se mariant entre frères et sœurs. D’ailleurs, Cléopâtre a été mariée à deux de ses frères avant de prendre définitivement le pouvoir. 

La mère de Cléopâtre, et donc son patrimoine génétique, n’est pas connue. Bien qu’en manque d’informations, certains historiens trouvent l’hypothèse plausible que sa mère n’est autre que la grande épouse royale, Cléopâtre VI Triphaena. Mais son père, lui, le roi Ptolémée XII, descendant direct des Lagides, est bel et bien reconnu. 

Le spécialiste de l’Antiquité Maurice Sartre a déclaré dans le magazine Géo :

“ Elle –Cléopâtre– est la dernière représentante des Lagides qui règnent sur l’Egypte depuis la mort d’Alexandre le Grand. À partir du deuxième roi, la dynastie a été tellement soucieuse de préserver la pureté ethnique qu’ils se sont mariés entre frères et sœurs (…) Donc imaginer que Cléopâtre ait eu du sang égyptien, c’est une absurdité totale.” 

Maurice Sartre

Il est très clair que sa lignée paternelle est affirmée et vérifiée depuis 300 ans.

Quelles étaient leurs relations ? 

Cléopâtre, fille de Ptolémée XVII, est mariée à son frère, le roi Ptolémée XVIII. Très divergente sur la façon de régner, Cléopâtre souhaite se rapprocher de Rome pour sauvegarder une indépendance, sentant l’Empire de plus en plus menaçant. Néanmoins, le roi, son frère, ainsi que sa sœur, n’étaient pas de cet avis. Après la perte de Chypre, tombée sous le protectorat romain, les Égyptiens ont développé une haine contre Rome. Alors Cléopâtre tente de renverser son frère, tentative ratée qui aboutit à l’exil de la reine en Syrie. 
Pendant ce temps-là, Arsinoé prend la place de sa sœur et, avec Ptolémée XIII, cherche à empêcher leur sœur de revenir. Ils envoient même plusieurs espions. 


C’est en -48, soucieuse de la situation, que Cléopâtre apprend la présence de César à Alexandrie, elle s’y rend donc pour le convaincre de la placer sur le trône à la place de son frère. Rome savait que César avait pour ambition de non pas, remplacer Ptolémée XIII par sa sœur, mais de réconcilier la fratrie pour éviter une guerre civile et négocier avec la province d’Egypte comme l’avaient souhaité Cléopâtre et son père avant elle. 


Pourtant, les plans changent et Jules César accepte d’aider la reine déchue dans son organisation. C’est à partir de ce moment que Rome voit la reine d’Egypte comme une menace, ayant César dans la poche. C’est de cet épisode dont la légende de l’arrivée de Cléopâtre dans un tapis est née. Vu comme une catin manipulatrice, c’est de cette image de femme fatale et vicieuse donnée par la propagande de Rome et surtout alimentée par Octave et les sénateurs romains, qu’Hollywood va sceller la beauté de la reine dans l’imaginaire collectif. 


Ptolémée XIII, mis au courant de l’entrevue de sa sœur et de César, va mourir, noyé dans le Nil après une bataille visant à empêcher les renforts romains d’accoster en Egypte. Mais le conflit ne s’arrête pas là. Arsinoé IV monte sur le trône et continue la lutte de son frère. Elle se fait capturer par la suite et Cléopâtre monte alors sur le trône aux côtés de son petit frère, Ptolémée XIV. 


C’est en -46 que César emmène la jeune Arsinoé à Rome, pour parader sa défaite. Du fait de son jeune âge, la foule est prise d’empathie et César ne la tue pas. Il la bannit au temple d’Artémis, à Ephèse. 


En -41, elle est assassinée par des hommes de Marc-Antoine dans le refuge sacré. La suite appartient à l’Histoire que nous connaissons.

Pour en apprendre plus sur la place des femmes en Egypte, lisez cet article : La Femme égyptienne, une des femmes les plus libres de l’Antiquité.

Photo d’une colonne du Temple Medinet Habu à Louxor, en Egypte par notre journaliste Clara Privitera, tous droits réservés.

L’Egypte porte plainte. 

La sortie de ce documentaire a suscité une vive émotion en Egypte. Les Égyptiens ont lancé un appel sur Change.org contre le film, et récolté plus de 70 000 signatures. 

L’avocat égyptien Mahmoud al-Semary a lancé une action en justice pour empêcher la diffusion du documentaire dans son pays. L’avocat explique sa motivation :

“Afin de préserver l’identité nationale et culturelle égyptienne parmi les Égyptiens du monde entier et de consolider l’esprit d’appartenance à la patrie”. 

Mahmoud al-Semary

Pour lui et la presse égyptienne, il s’agit ici d’une volonté de narrer une histoire remaniée à la place des Égyptiens.

Après des années de narrations édulcorées par Hollywood et l’imaginaire cinématographique, cette énième narration se réclamant d’un documentaire est la provocation de trop pour les historiens égyptiens ainsi que pour la communauté égyptienne qui accuse la production d’appropriation culturelle. 

Les Égyptiens soulignent aussi qu’ils n’étaient pas forcément d’accord avec le choix de castings jouant Cléopâtre dans les autres films (en référence à Elizabeth Taylor en 1963), mais que la différence est que ces films ne se présentaient pas comme des documentaires voulant établir une vérité et une nouvelle hypothèse. 

Les Égyptiens soutiennent la thèse principale présentant Cléopâtre comme la dernière représentante de la dynastie hellénistique, donc elle ne pouvait être noire. Ils vont plus loin en dénonçant la discrétisation que ferait Netflix de la vraie histoire égyptienne et dénonce un “afrocentrisme*** roi”.

***L’afrocentrisme est désigné comme une forme d’ethnocentrisme qui promeut la présence des cultures subsahariennes à la place ou en plus d’autres civilisations.

Le mouvement argue que les scientifiques européens, occidentaux et surtout “blancs” cachent volontairement la présence des civilisations subsahariennes. Pourtant, les Egyptiens ne sont pas « blancs ». En réalité, cette acceptation des civilisations par leur couleur de peau est une démarche popularisée par les Etats-Unis. En réalité, chaque civilisation a sa propre particularité. Et dans un monde ou des ethnies méditerranéennes, ayant eu des rapports très étroits, des ethnies arabes, maghrébines et subsahariennes, entourent l’Egypte, comment définir un Egyptien par une des deux couleurs les plus diamétralement opposées ?

Les coptes sont-ils les anciens égyptiens ? 

Les coptes sont une minorité bien particulière, majoritairement en Egypte, et sont la première minorité du Moyen-Orient. On appelle communément un copte : un Égyptien chrétien. Pourtant, ils se définissent par un bien plus complexe héritage. 


Être copte n’est pas qu’une appartenance à une religion minoritaire dans une région, c’est la considération de faire partie des héritiers du peuple et de la civilisation des pharaons, puis ensuite des Ptolémée, après la conquête d’Alexandre le Grand. 


C’est une des raisons de leur tension avec les musulmans du pays : les coptes se revendiquent comme le peuple présent bien avant l’arrivée des conquêtes arabes et de l’Islam au VIIe siècle. Certains coptes sont musulmans, mais revendiquent une appartenance historique copte, ils forment une communauté de premier ordre religieux, mais aussi linguistique, culturelle et ethnique. 
Ils ont comme preuve l’arabisation du mot grec “Aiguptios”, prouvant qu’un peuple était bien présent à l’arrivée des troupes arabes.


C’est le putsch de Nasser en 1952 qui prive les coptes de leurs biens et leur mouvement politique. C’est depuis lors que leur revendication religieuse s’intensifie. Mais par la suite en 1980, la Charia, la loi islamique entre dans la Constitution égyptienne comme source principale de loi, après son amendement par Sadate.
À l’heure actuelle, les coptes sont devenus la cible des terroristes, enlèvements, meurtres, attentats, émeutes. Ils sont une cible désarmée et minoritaire.

Malgré tout, rien ne permet d’affirmer que les coptes sont les descendants directs du peuple égyptien antique. Pourtant, la diversité de cette communauté reste plausible dans l’hypothèse de leur héritage, et ils sont souvent désignés comme tels. 

« Nous, les coptes, avons les yeux clairs, un visage plus clairs allongé et carré. Certains d’entre nous sont même roux. Moi je n’ai physiquement rien à voir avec mon collègue d’ascendance arabe et nous le savons. Regardez bien les deux momies royales exposé au musée du Caire, ils sont roux et leur cheveux sont fins. »

Mohammed, historien et guide égyptien, durant une entrevue à Louxor avec notre journaliste.
Momie de Ramsès II photographiée en 2006 au Musée du Caire. ©Getty – Patrick Landmann

Le royaume perdu de l’Egypte noire.

Le royaume de Koush, ou la culture koushite, désigne une période de l’histoire antique ou l’actuelle Soudan fut un royaume aux traditions pharaonique. 

Les Nubiens étaient des populations subsahariennes bien reconnues en Egypte. Des hiéroglyphes, aux traités commerciaux, jusqu’à l’instauration même d’une dynastie pharaonique, la Nubie a influencé et s’est fait influencer. L’Egypte antique et la Nubie se sont mêlées, fait la guerre et se sont démêlées pendant des siècles.

Ils constituent aussi une hypothèse du fait que les Égyptiens n’étaient ni noirs ni blancs, car les Nubiens, caractérisés par leur peau noire, étaient représentés bien différemment des Égyptiens. 

De nombreux bas-reliefs représentent des populations noires par une couleur très foncée, tandis que les Égyptiens sont représentés par une couleur ocre, orangée. Ce qui appuie la différenciation de ces deux peuples. 

Leur capitale, Napata, apparaît plusieurs fois dans l’Histoire égyptienne. Et c’est la 25e dynastie qui installe Piye, le roi de Nubie, sur le trône d’Egypte. Cette dynastie noire va durer 56 ans avant que les Assyriens n’envahissent l’Egypte.

Pour autant, la culture funéraire koushite reste influencée par les rites égyptiens. Par exemple, la nécropole de Nouri est un lieu de culte du dieu Amon, du panthéon égyptien. Méroé, la cité antique de Nubie, classée au patrimoine mondial de l’Unesco, est reconnue pour ses pyramides et son architecture à influence égyptienne.

Finalement, le cinéma a une influence bien plus grande sur l’Histoire. Mais les Égyptiens ne sont ni blancs, ni noirs, et beaucoup avancent que cette civilisation antique, métissée avec les siècles, aurait ses propres traits physiques, ressemblant aux Méditerranéens. Pourquoi la couleur de peau des pharaons intrigue-t-elle autant ?

1 comment
  1. Très bon article, à la fois instructif et factuel. Cela permet de relativiser et mettre en avant cette dichotomie fantaisiste de deux couleurs qui n’est pas la réalité et cache un bien plus complexe héritage.

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