Joris Rollier et CSActu, souhaitent remercier Philippe Bianchi d’avoir donné de son temps pour répondre à quelques questions. Il nous fait partager son expérience en tant que papa de pilote mais aussi en tant que passionné du sport automobile.
Le week-end du premier mai 1994 a été particulièrement tragique. On a eu plusieurs pilotes qui ont disparu sur le circuit de Saint-Marin dont le grand pilote Ayrton Senna. À cette époque Jules était encore en karting. Est-ce que cet accident et même ceux qui ont suivi a pu vous atteindre dans une certaine mesure ?
« Ce qui s’est passé ce jour-là était vraiment marquant. Parce que déjà il n’y avait pas qu’Ayrton Senna. On a aussi eu Roland Ratzenberger qui est mort la veille, dans un week-end un peu fou qui restera forcément dans les mémoires. »
Ce week-end de course a été marqué par le décès du pilote autrichien Roland Ratzenberger et celui d’Ayrton Senna. Le triple champion du monde, a percuté le mur à pleine vitesse dans la courbe de Tamburello alors qu’il était en tête de la course.
« Après moi personnellement, j’étais extrêmement marqué, parce que quand on me l’avait annoncé, j’étais avec les parents de Franck Montagny. Jules était avec moi et c’était vraiment un week-end de merde pour le sport automobile et pour les gens qui aiment la Formule 1. »
Ce GP a été qualifié de « Grand Prix le plus sombre de l‘histoire » par Murray Walker, commentateur pour la BBC.
« Après, il faut qu’il y ait des drames pour avoir une prise de conscience que ce sport est dangereux. Ça faisait des années qu’il n’y avait pas eu d’accidents. C’est important de travailler là-dessus. »
La sécurité en Formule 1 occupe aujourd’hui une place primordiale dans le domaine. Cette préoccupation est cependant arrivée très tard. À Zandvoort par exemple les bacs à graviers étaient, dans les années 70, de simples tranchées de terres. Pensez-vous que l’évolution de la sécurité en f1 a été trop lente ?
« Moi je pense qu’elle a été trop lente car j’avais mon papa et mon oncle qui était aussi des grands pilotes automobiles. Mon oncle s’est tué aux 24h du Mans. Mon père a failli s’y tuer. Donc c’était déjà compliqué à l’époque. Les deux ont aussi fait de la Formule 1. Mais c’était dans les années 60-70 où il y avait presque 2 à 3 morts par course. C’était totalement inacceptable parce que en réalité il n’y avait aucune sécurité. Quand mon oncle a disparu aux 24h du Mans, il n’y avait pas de rails de sécurité autour de la piste donc vous étiez autour d’une forêt. Si vous aviez un problème avec la voiture, ce que mon oncle a eu, vous n’aviez aucun rail pour vous remettre sur la piste donc vous alliez dans la forêt directe.
Après cela faisait un peu partie du sport auto à cette époque. C’était normal qu’on prenne des gros risques et je pense que le drame de Ratzenberger et de Senna a encore appuyé la chose et que les gens ont pris conscience que ce sport était dangereux. Ils ont d’ailleurs amélioré la voiture, la sécurité par la suite. »
Dans les années 60, la sécurité était considérée comme une quête allant à l’encontre de l’ADN du sport automobile.
« 20 ans après il y a eu le drame de Jules et cela a amené d’autres évolutions. Le halo et la safety car virtuelles, des choses logiques en réalité. C’est malhereux de ne pas y avoir pensé avant…»
Le Grand Prix du Japon 2014, qui s’est déroulé le 5 octobre 2014 à Suzuka, a viré au drame. En effet, Jules Bianchi, fils de Philipe Bianchi, a été victime d’un accident suite à des mauvaises décisions prises par la FIA. Un accident dans lequel il y laissera la vie et qui fait encore polémique aujourd’hui.
« J’ai fait une grosse colère cette année lorsque Pierre Gasly s’est retrouvé face à une grue au Grand prix du Japon. Parce que si je veux bien accepter qu’aujourd’hui j’ai perdu mon petit parce qu’il y a eu des choses qui ne devaient pas être présent ce jour-là. Ce qui s’est passé cette année au Japon, ce n’est pas apprendre de ses leçons. Je pense qu’un pilote de Formule 1 prend des risques, mais les risques qu’ils prennent sont calculés. Jules en l’occurrence a accepté les risques du métier, mais pas n’importe lesquelles… Ce qui s’est passé à Suzuka en 2014, n’aurait jamais dû se passer dans ces conditions. »
Lors de la saison 2022, sur le circuit de Suzuka, le pilote français Pierre Gasly a frôlé le drame. Dans des conditions presque similaires à 2014, le pilote français a échappé de justesse à une grue qui essayait de sortir une monoplace de la piste. Le pilote français qualifiera par la suite cette action comme étant « inadmissible » aujourd’hui.
Le halo, suite à cet incident, a été proposé par Mercedes. Il entre en vigueur le 21 septembre 2017. Il a par la suite sauvé la vie à Charles Leclerc lors du Grand Prix de Belgique en 2018, Romain Grosjean à Bahreïn le 29 novembre 2020, Zhou le 3 juillet dernier ainsi que Lewis Hamilton en 2021 à Monza. Est-ce l’évolution la plus importante en Formule 1 ses 10 dernières années ?
« Je pense que oui. On avait l’habitude de voir des monoplaces roulées avec des pilotes qui avaient la tête très exposée. Il pouvait se passer n’importe quoi. On l’a vu d’ailleurs à Brands Hatch en 2009 où Henry Surtees a reçu un pneu en Formule 2 dans la tête suite à un accident de Jim Clark. Il en est d’ailleurs mort par la suite. Quand on voit cela, on se demande comment on n’a pas pu faire quelque chose avant, parce que ça paraît complètement logique. »
Le 19 juin 2009, a eu lieu la quatrième manche de Formule 2, à Brands Hatch au Royaume-Uni, de la saison. Un Grand Prix assombrit par la mort du pilote Henry Surtees, suite à un accident de Jim Clark. Surtees a été frappé à la tête par une roue de la voiture du pilote écossais, après que ce dernier ait tourné dans le mur.
« Après comme je vous ai dit, je pense que malheureusement il doit y avoir des problèmes, des accidents pour voir les choses. Et j’ai envie de vous dire, la seule chose qui me met vraiment en colère, par rapport à ce qui s’est passé avec Jules, c’est qu’on ait revu cela au Japon cette année. Je trouve ça juste démentiel, ce n’est juste pas possible. Il faut que ça serve pour les autres et qu’il n’y ait plus ce type de problème. »
Les voitures ont été règlementées la saison dernière avec une voiture plus large et plus sécuritaire qu’auparavant. Quels sont selon vous les facteurs qu’ils restent à améliorer pour se rapprocher de plus en plus du risque 0 ?
« Je pense que les voitures aujourd’hui ont beaucoup trop de grip aérodynamique. Dans les années 60, années de mon père et oncle, il n’avait pas d’appendice aérodynamique. Cela permettait par exemple au Mans d’avoir des voitures de 300 chevaux, aller à 320 km/h. Les voitures n’avaient pas d’appui et elles n’étaient pas freiné. Par contre c’était spectaculaire à voir rouler parce que quand elles arrivaient dans des courbes, elles glissaient et dérivaient avec les quatre roues. Pour les spectateurs c’était intéressant à voir. »
Dans les années 60, les écuries de F1 n’avaient pas de moyens considérables. Les pièces étaient peu présentes sur les monoplaces. Le manque de fonds n’a donc pas permis à l’aérodynamisme d’évoluer. Afin de réduire les perturbations des flux d’air, le moteur a été placé à l’arrière de la monoplace. Certains possédaient un capot pour le recouvrir afin de réduire encore plus les perturbations. Cela augmentait cependant les risques de surchauffe. L’évolution qui a principalement marqué ces années est l’apparition des ailerons arrière en 1968 afin d’équilibrer la monoplace.
« Aujourd’hui, on a des voitures qui vont trop vite dans les virages parce qu’on met trop d’aérodynamisme. On a même plus de grip mécanique parce que les suspensions servent plus à grand chose. On se retrouve presque comme en karting. Les voitures sont trop rapides en courbe et ce n’est pas forcément le plus impressionnant à voir en tans que spectateurs. On ne se rend pas compte de la vitesse et je pense que la Formule 1 a fait une grosse erreur en mettant une priorité sur l’aérodynamisme.
Je pense que si la Formule 1 revenait en arrière, les monoplaces iraient un peu moins vite mais seraient plus spectaculaires à voir rouler. Et pour le public, ce qui reste essentiel, ce serait plus divertissant, et surtout moins dangereux. Si vous sortez d’un virage à 300 km/h les dégâts sont plus importants que si vous sortez à 200 km/h. »
La F1 a subi une nouvelle règlementation en 2022. Les voitures sont très tournées vers l’aérodynamisme aujourd’hui avec le retour des enjoliveurs par exemple. Cela permet d’augmenter l’appui des monoplaces. On arrive donc dans une ère où les voitures sont moins impressionnantes pour les spectateurs et plus lourdes encore qu’avant.
En 2023, les formule 1 vont encore subir des règlementations. Elles vont être allégées de deux kilos par rapport à 2022 (796 kg). Le pilote George Russell s’inquiète cependant du poids, qui a nettement augmenté malgré tout depuis 2014. Selon lui plus les véhicules seront lourds, plus les impacts seront conséquents pour les pilotes en cas d’accident. Êtes-vous d’accord avec ses propos ?
« Bien sûr, c’est évident. Le poids des voitures aujourd’hui est surtout expliqué par les moteurs hybrides. Les batteries sont lourdes et agissent forcement sur la sécurité. On a seulement 20 voitures dans le monde qui roulent en formule 1. Je ne vois pas pourquoi on n’a pas gardé des moteurs thermiques. On le voit aujourd’hui, l’électrique a largement ses limites et rien n’est très simple. Je suis sidéré de voir les formule 1 rouler avec des moteurs hybrides aujourd’hui. »
« J’avais mon fils qui roulait lui avec des moteurs V8 atmosphérique. C’était juste magique. Ce ne sont pas les 20 monoplaces de Formule 1 qui polluent, alors que des millions de voitures thermiques roulent chaque jour. C’est l’élite de l’automobile mondiale et je pense que la FIA a vraiment fait fausse route. C’est triste parce qu’il y avait vraiment quelque chose à faire…»
Les monoplaces de la Formule 1 roulent depuis 2014 avec une motorisation hybride composée d’un moteur turbo de 6 cylindres ainsi que d’une unité de puissance électrique. Des choix environnementaux qui posent questions encore aujourd’hui.
En tant que papa d’ancien pilote, qu’est-ce que vous diriez aux papas des pilotes actuelles ?
« Ce que je peux leur conseiller c’est de rester à leur place. De ne pas trop s’impliquer dans le travail de leur fils. Je pense que les papas de petits et même des grands pilotes qui courent en Formule 1 aujourd’hui sont fiers. On arrive pas comme ça à un tel niveau de performance. Je leur dirais donc d’apprécier ses moments avec son gamin. Et surtout de profiter parce que ce sont des moments exceptionnels que beaucoup parents aimeraient vivre. »