Vous êtes devenu arbitre à seulement 16 ans. Être arbitre c’est une vocation ? C’est arrivé comment cette envie de prendre le sifflet ?
« J’ai commencé tôt. En parallèle, je continuais à jouer. Arbitre n’était absolument pas une
vocation. J’ai découvert l’arbitrage grâce à un éducateur de mon club. Comme je râlais après les arbitres, il m’a proposé de prendre un sifflet lors d’un tournoi. Je l’ai vu comme un défi. Cela m’a permis de mieux comprendre le jeu et de mieux comprendre la tâche difficile des arbitres. Après je n’ai plus jamais râlé. J’ai passé l’examen pour devenir arbitre dans la foulée. Je me suis épanoui dans cette fonction. Il faut aimer le jeu et savoir assumer des responsabilités. Cela m’a plu ! »
Comment on arrive à devenir arbitre de Ligue 1 ?
« J’ai eu la chance d’être encadré par des bénévoles, qui ont cru en moi et qui m’ont aidé à gravir les échelons. Quand on commence l’arbitrage, on arbitre d’abord des rencontres de jeunes en district. Puis, si l’on est bon, on arbitre en Ligue. Chaque année, un classement s’opère, comme pour les équipes, les premiers accèdent aux niveaux supérieurs, les moins bons sont rétrogradés. J’ai donc gravi les échelons 1 à 1 dans ma Ligue. Puis, j’ai passé le concours pour arbitrer au niveau fédéral. Ce concours est une vraie épreuve de sélection, car en moyenne, on retient 20 à 30 arbitres par saison (soit un par Ligue).
Ensuite, j’ai arbitré en CFA2, puis en CFA, puis en National, puis en Ligue 2. Avant d’atteindre la Ligue 1 en 2004, et de devenir arbitre international en 2007. Je n’ai jamais eu de plan de carrière. Chaque saison, je me fixais pour objectif de finir dans les 3 premiers. »
Quelles sont les qualités à avoir pour être un bon arbitre ?
« D’abord, le courage. Ensuite, une bonne condition physique, des capacités d’adaptation, de résistance au stress, de gestion de ses émotions. Un bon niveau d’anglais et une capacité à apprendre les lois du jeu (ce qui peut paraître simple, mais s’avère très complexe). »
Selon vous, d’où vient l’exigence, l’exemplarité parfois démesurée qu’on demande aux arbitres sur leurs décisions en match ?
« Toutes les fonctions d’autorité induisent une notion d’exemplarité. Celui qui incarne la loi n’a pas le droit de se tromper, sous peine d’être montré du doigt. Cela est vrai pour les arbitres bien sûr, mais également pour les enseignants, les médecins, les policiers, etc. »
On oppose souvent les joueurs avec les arbitres. Mais comment avez-vous fait pour améliorer vos relations avec les joueurs, tout en restant respecté ?
« Cette relation est complexe, car elle n’est effective que pendant 90 minutes. Or, pour créer de la confiance et des échanges, il faut apprendre à se connaître. La difficulté pour l’arbitre est donc de se faire accepter par des joueurs qu’il ne connaît pas et qui ne le connaissent pas.
C’est pourquoi je préconise des échanges réguliers entre les arbitres, les joueurs et les dirigeants. Que ce soit lors de séances d’entraînement en club ou lors des rassemblements des arbitres à Clairefontaine. Une façon de mieux appréhender le travail de chacun, de comprendre l’aspect psychologique et tactique des uns et des autres. »
Comment un arbitre se prépare avant un match de football ? Est-ce que, par exemple vous, étudiez les acteurs que vous allez rencontrer pendant le match ?
« Le travail de l’arbitre est tout d’abord athlétique. Cela veut dire que l’arbitre aujourd’hui s’entraîne quasiment quotidiennement. Ensuite, il y a un travail avec ses assistants (en équipe) et un travail d’approche tactique des équipes et une approche comportementale des joueurs. Cela passe par des séances vidéo des équipes en présence. »
Comment gérer un lendemain de match lorsqu’on sait qu’on a fait une erreur sur une décision importante et que les critiques s’abattent sur vous ?
« Pas très bien… Souvent les nuits sont difficiles après un match où l’on a commis une ou plusieurs erreurs. L’arbitre est seul, donc il gère ses échecs en solo. C’est un premier élément. Dans un second temps, vient l’analyse. Pourquoi on s’est trompé : placement, mauvaise interprétation d’une situation, mauvaise collaboration entre coéquipiers. Donc, on analyse et on travaille pour corriger. Surtout, on évite de lire la presse et de regarder la télévision ! »
Est-ce que l’épisode entre l’OL et l’OM le 21 novembre dernier reflète selon vous le poids que l’arbitre peut avoir durant une rencontre ? Entre les pressions des joueurs, puis de la LFP, du Préfet…
« Pour comprendre la solitude de l’arbitre, c’est effectivement un bon exemple. C’est aussi un bon exemple pour parler des responsabilités de l’arbitre. Car, comme personne ne veut les assumer, on dit « C’est l’arbitre qui décide ». Ensuite, on pourra le critiquer. »
Le fait qu’on veuille déshumaniser l’arbitre, en le remplaçant par des machines, selon vous, les grandes instances du football vont-elles dans le bon sens en termes de nouveautés aux sujets des arbitres ?
« Le foot est joué par des joueurs et arbitré par des arbitres. Leur point commun, c’est leur humanité et donc leur imperfection. Lorsque l’on comprendra que chacun peut se tromper, alors on aura fait un grand pas dans l’évolution de la civilisation. On peut critiquer, discuter, mais on se doit aussi de respecter et de se dire : « Et moi, aurais-je fait mieux ? ». Si on pense que oui, alors on peut candidater pour devenir arbitre. »
Une conférence de presse dédiée aux arbitres après un match, pour expliquer leurs décisions, c’est quelque chose que vous auriez apprécié durant votre carrière ?
« C’est à priori une bonne idée. À priori, seulement. Car, dans les faits, on ne s’intéressera à l’arbitre que lorsqu’il aura fait une erreur. Le reste du temps (la majorité des matchs), on ne parlera pas de l’arbitre. Donc, cette conférence de presse sera vidée de son sens. Comme les trains qui arrivent à l’heure, personne n’aura envie d’en parler. En revanche, je serai favorable à un point presse tous les lundis ou mardis, avec les responsables de l’arbitrage et un arbitre qui viendraient expliquer les bonnes et les moins bonnes décisions après chaque journée de championnat. »
Si vous deviez inventer une règle, qui faciliterait considérablement la vie des arbitres, ce serait laquelle ?
« L’exclusion temporaire et la règle des 10 mètres, comme au rugby pour contestation (le ballon sera avancé de 10 mètres vers le but de l’équipe fautive de contestations répétées.) »
Quel joueur, que vous avez croisé sur un terrain, vous gardez le meilleur souvenir ?
« Beaucoup. C’est difficile d’en citer un seul. Mais j’aime beaucoup Steve Mandanda et Benoît Costil. »
Quels conseils donneriez-vous à un jeune voulant se lancer dans l’arbitrage ?
« De s’armer de courage et de patience. La carrière d’un arbitre est certes compliquée, mais elle réserve de belles surprises et de beaux moments de plaisir sur les terrains. »
Son livre « Enfin libre ! : Itinéraire d’un arbitre intraitable » est toujours disponible.